Au théâtre cette semaine - le 2 mars 2016

par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

Qu'y a-t-il sur nos scènes cette semaine ?

L'enfant sauvage

Ph. Alice Piemme

Elle est là, seule, accroupie, au milieu des puces du Jeu de Balle. Comme si elle faisait partie des meubles. Certains la traitent de "bête sauvage". Pourtant, ça ne se fait pas de laisser une gosse comme ça, s'exclame un passant ordinaire. Lui arrive sur scène pour nous raconter cette rencontre avec cette petite fille. Qui est-elle ? Que fait-elle là, seule ? Lui, ça le bouleverse et le révolte en quelque sorte. Ni une, ni deux, voilà que ce solide célibataire prend l'enfant sous son aile. L'enquête révélera ce qu'on appelle dans le langage courant "une enfant du juge". Famille brisée, noyée dans les problèmes sociaux et judiciaires, celle qui sera renommée Kim connaît ce que les jeunes de son âge ne devraient pas connaître. Armé de sa seule tendresse, ce grand gaillard va devenir son parrain et l'accompagner dans les méandres administratifs et judiciaires.

L'auteure et metteure en scène Céline Delbecq aime prendre à bras-le-corps les réalités difficiles de notre société. Elle l'a prouvé dans nombre de ses précédentes créations ("Eclipse totale", "Supernova", etc.).  Ici elle plonge sa plume directe et concrète, mais sensible, dans l'encre des écorchés de la vie, bien avant l'âge. Davantage que dénoncer, elle interpelle sur nos aveuglements et le délire kafkaïen de nos administrations oubliant la question centrale de l'intérêt de l'enfant.

Ph. Renato Ribeiro / Alice Piemme

Thierry Hellin endosse avec humanité mais aussi conviction les habits du narrateur au grand cœur, d'une naïveté qui sied à tous et qui se transforme en révolte. Pas d'excès, juste ce qu'il faut pour nous bouleverser dans un seul en scène qui demeure déjà comme l'un des spectacles de l'année.

Militant, "L'enfant sauvage", dont la longue tournée nous emmènera jusqu'en mai 2017, soutiendra la cause des familles d'accueil. Les associations actives en la matière ne cessent de rechercher de nouveaux foyers pour ces enfants perdus.

Tigern

Ph. Urabn Joren

Dramaturge roumaine phare de la turbulente scène théâtral roumaine, Gianina Carbunariu confie une drôle d'histoire à la metteuse en scène suédoise Sofia Jupither. « Tigern » retrace l'escapade qui coûtera la vie à une tigresse blanche de Sibérie échappée de son zoo. Conçu comme une collecte de témoignages d'habitants ayant croisé le félin sur son passage, ce spectacle dresse comme une cartographie sociale de cette ville indéfinie. Du centre-ville historique au quartier résidentiel bling-bling, en passant par le secteur populaire et une artère commerçante. Tour à tour, cinq comédiens campent avec humour et parfois exagération les questionnements et les indignations suscitées par cette rencontre impromptue avec l'animal.

Derrière son humour, la pièce révèle un sous-texte interpellant sur notre rapport à l'étranger qui surgit dans notre quotidien. Qu'il soit réfugié, nomade ou simplement différent, l'instinct fait de nous des protectionnistes de nos intérieurs et de nos habitudes. Au premier abord, la métaphore semble une peu convenue, mais la réalisation aux allures de théâtre documentaire recèle de belles cocasseries comme cette scène où des pigeons de la grand-place locale commente le génocide commis par le fauve sur la population volatile. Et on ne vous dira rien sur le final qui tombe quasiment dans le burlesque mais ne manque pas sa cible. Grinçante et bavarde (ne vous laissez pas décourager par la vitesse des surtitres), cette nouvelle création de l'auteure roumaine prouve son habilité à affronter les travers de nos sociétés urbaines, roumaines et européennes.

Francesca

Ph. Véronique Vercheval

Première création pour la comédienne Nathalie Rozanes, cette plongée dans l'œuvre photographique de Francesca Woodman joue la carte de l'évocation plutôt que de l'exposition. L'artiste new yorkaise s'est suicidée à l'âge de 22 ans seulement en 1981, s'est fait connaître par ses autoportraits troublants en noir et blanc. La vue d'un recueil dans une librairie a inspiré Nathalie Rozanes pour une interrogation de cette démarche artistique singulière. Par tableaux, postures et utilisations d'éléments scénographiques récurrents de la photographe, elle questionne ce travail iconographique en convoquant les pages de ses carnets de note et des textes plus contemporains. Sa démarche entend gratter les pensées de ces écorchées vives qui ont jalonné l'histoire, parties trop tôt à l'image de Sarah Kane ou d'Amy Winehouse.

La proposition de Nathalie Rozanes risque cependant de rebuter ceux qui ne connaissent pas du tout l'oeuvre de Woodman (en voici un avant-goût), la photographie n'intervenant que tardivement dans le déroulé du spectacle. Et le propos reste au terme de cette heure un peu obscur. Les spectateurs curieux se rassasieront de la petite exposition ouverte en fin de représentation qui, à la manière de cabinet de curiosités, révèlent les inspirations photographiques qui ont construit ce spectacle.