Catherine Deneuve face au djihad dans "L'adieu à la nuit"

Elle entre dans la pièce avec la grâce d'une reine et la cool attitude d'une rock star. À l'image de sa carrière, longue de plus de 140 films, Catherine Deneuve en impose! On la retrouve dans 'L'adieu à la nuit', une fable humaniste sur la jeunesse et le djihad. Pour l'occasion, la légendaire actrice des 'Demoiselles de Rochefort' et de 'Huit Femmes' retrouve l'un de ses cinéastes favoris: André Téchiné ('Les Roseaux Sauvages'). Rencontre!
par
ThomasW
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Muriel apprend que son petit-fils se prépare au djihad. Comment préparer un tel rôle?

«C'était intéressant qu'elle soit sa grand-mère, et non sa mère. Il y a un instinct maternel et de la protection, mais je pense que les grands-parents sont plus disposés à comprendre l'incompréhensible. À accepter. Ce n'est pas un divorce, elle veut vraiment le récupérer, le ramener à la raison. Elle ne crie pas, ne le juge pas.»

Comment réagiriez-vous à sa place?

«Qui sait? Je crois que je me sentirais très impuissante, et je ne suis pas sûre que je serais aussi indulgente qu'elle. Le mieux à faire est d'accepter et d'essayer de comprendre.»

Mais comment accepter la radicalisation?

«C'est évidemment dur à imaginer. C'est un tel choc d'apprendre quelque chose d'impensable. C'est étrange, mais au-delà de ce que je pense, de ce que vous pensez, on doit accepter d'ouvrir les yeux. Ces jeunes sont manipulés par quelques personnes, très intelligentes, qui exploitent une faille et les attirent patiemment. J'imagine que ceux qui tombent dans le piège y trouvent un sens qu'ils ont perdu, du réconfort. Leur discours sur la société oppressive qui doit tomber, ce n'est qu'un outil. On le voit à chaque époque, peu importe l'idéologie qui se trouve derrière. Le discours contre les 'mécréants' et 'les bourgeois'… On peut dire ce qu'on veut, mais pour ces jeunes, c'est une révolution!»

Six films avec André Téchiné, vous semblez vous apprécier!

«Oui, et pourtant chaque film avec lui est différent. Quand on connaît si bien un réalisateur, il y a une compréhension qui dépasse les mots. Mais heureusement, il y a toujours des surprises, car il s'agit à chaque fois d'une nouvelle situation, d'un nouveau personnage. Et cette histoire-ci est vraiment spéciale. Le sujet m'a directement intriguée.»

Vous venez de tourner un film avec Chiara Mastroianni, votre fille…

«Oui, ‘La dernière folie de Claire Darling' de Julie Bertuccelli (sortie le 8 mai, NDLR). C'était très drôle car on joue une mère et une fille qui ne s'entendent pas. L'opposé complet de notre relation, car nous n'avons jamais eu de frictions. Nos caractères vont bien ensemble. Il y a des gens qui existent mieux dans la colère ou dans l'opposition. Ce n'est pas du tout mon cas, j'ai besoin d'harmonie.»

Vous tournez énormément. L'âge ne semble pas vous freiner…

«J'ai 75 ans, mais ce n'est qu'un nombre. Ça peut faire peur, mais on a le temps de s'y préparer (rires). J'ai fait trois films en 2018 (celui-ci, le Bertuccelli, et 'La Vérité' de Cédric Kahn, NDLR), et c'est beaucoup trop pour moi. Un seul devrait suffire. Mais quand un scénario de qualité me tombe entre les mains, ou que surgit l'envie de tourner avec un réalisateur intéressant… J'arrêterai le jour où les rôles ne seront plus intéressants.»

L'an dernier, vous avez cosigné une lettre polémique sur la 'liberté d'importuner', en réaction au mouvement #metoo…

«Je n'ai pas l'habitude de commenter mes commentaires, parce que ça ne s'arrête jamais (rires). J'ai associé mon nom à ce texte publié dans 'Le Monde' car cela me semblait juste. Puis j'ai écrit une lettre dans 'Libération' pour préciser mes intentions. Le premier texte comportait certains points avec lesquels je ne suis pas forcément d'accord, mais je ne m'attendais pas à ce qu'ils prennent le dessus. Maintenant c'est fini, j'ai tenté de corriger ce qui m'a semblé être une incompréhension. Je fais beaucoup plus attention maintenant, même si j'essaie de parler aussi librement que possible.»

Stanislas Ide

En quelques lignes

Muriel (Catherine Deneuve) accueille son petit-fils Alex dans son superbe ranch des Pyrénées orientales, le temps qu'il se prépare à partir au Canada. Mais Alex a un secret : lui et sa copine Lila se sont radicalisés en France, et s'apprêtent à rejoindre l'Etat islamique. Les films sur l'endoctrinement de la jeunesse européenne se sont multipliés ces dernières années (‘Les Cowboys' avec François Damiens, ‘Le jeune Ahmed' des Frères Dardenne, qui sort le mois prochain). Ce qui distingue ce très bel ‘Adieu à la nuit', c'est la patte du grand André Téchiné. Fasciné par la jeunesse (on lui doit ‘Les roseaux sauvages' et ‘Quand on a dix-sept ans'), il se concentre sur les frustrations sociales, familiales et sexuelles d'Alex. Sans jamais tomber dans la démonstration moralisatrice pour autant. C'est la force du personnage humaniste de Catherine Deneuve, qui n'est guidé que par la volonté de retenir Alex, sans cri ni jugement. Certains diront que le scénario manque de nuance, ou que la mise en scène est brouillonne. On a plutôt l'impression que Téchiné dessine une fable urgente, et choisit d'émouvoir plutôt que d'informer.(si) 4/5