Dans Tremblements, Jayro Bustamante dénonce l'homophobie au Guatemala

Attention, sujet explosif! Ce mercredi sort 'Tremblements', un film guatémaltèque sur un homme gay forcé par sa famille à suivre une thérapie de conversion. Trois ans après avoir gagné un Ours d'Argent pour son drame indigène 'Ixcanul', Jayro Bustamante confirme tout le bien qu'on pensait de lui. Lors du dernier festival de Berlin, il s'est confié sur ce qui l'a poussé à raconter cette histoire.
par
ThomasW
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Pablo est un père de famille qui fait son coming-out, mais qui décide de retourner auprès de sa famille. Ce n'est pas commun.

Jayro Bustamante: «Il a tellement à perdre! Il commence le film du côté des privilégiés, et risque de tomber du côté des perdants. Je voulais qu'il fasse partie de cette classe moyenne supérieure, pour que le public ne pense pas que sa famille tombe dans le piège de l'Église par manque d'éducation. Non, ce sont des gens qui voyagent, et ce ne sont pas des ignorants.»

L'homophobie est-elle plus forte au Guatemala qu'ailleurs?

«C'est un pays complètement oppressif! Chez nous, les trois pires insultes sont: 'noir', 'pédé', et 'gauchiste'. Ça pose des problèmes dans chaque couche de la société. Mais les thérapies de conversion, où des hommes gays sont envoyés pour être soi-disant guéris, ne concernent que peu de gens. Car ces 'traitements' sont très chers.»

Ces thérapies de conversion existent-elles vraiment?

«Absolument! J'en ai d'abord entendu parler via des hommes ayant subi ces traitements. J'ai rencontré un 'Pablo' en quelque sorte. Ce qui m'a fasciné, c'est que malgré son homosexualité, il tenait un discours homophobe. Il souhaitait réellement devenir hétérosexuel. Et puis j'ai découvert qu'il y avait énormément de 'Pablo', et que certains d'entre eux suivaient des 'soins' pour changer. On t'enferme dans un centre, comme un toxicomane. Ça va très loin, jusqu'à la castration temporaire. Dans un genre moins terrifiant, on m'a également parlé d'une thérapie où les hommes doivent marcher sous une arche aux couleurs de l'arc-en-ciel, pour finir par déposer de l'argent dans une boîte, et promettre qu'ils n'auront plus jamais de relations sexuelles avec un autre homme. Donc si tu refais l'amour avec un mec, il suffit de repasser sous l'arche et de payer un peu plus (rires)

Vous abordez ainsi la question de la masculinité.

«La masculinité au Guatemala est définie à travers trois négations: ne pas être un enfant, ne pas être une femme, et ne pas être un homosexuel. C'est ainsi qu'un homme se construit, contre ces trois images. Quand on y pense, c'est la base du patriarcat.»

Le film est très critique à l'égard des églises évangélistes.

«Je voulais montrer que l'argent y est central. Il y a toutes ces offres qu'on vous recommande de faire pour obtenir ceci ou cela. Ce sont de vrais deals avec Dieu. Mais le plus intéressant, c'est que ces églises proposent de vrais services pour les paroissiens. Des crèches, des parcs sécurisés pour les loisirs, des entretiens psychologiques… tout ce que l'État ne fournit pas à ses citoyens. La communauté devient essentielle quand on ne peut pas se construire en tant qu'individu, par manque d'opportunités.»

C'était difficile de trouver des acteurs acceptant de jouer des homosexuels?

«Oui. Pourtant je suis relativement connu au Guatemala. Donc pas mal de monde était prêt à me suivre. Je reçois des messages bizarres de gens me demandant de les transformer en acteurs (rires). Mais quand ces gars se sont pointés au casting, 80% d'entre eux ont refusé d'interpréter un homosexuel.»

Croyez-vous que la sortie du film va poser problème au Guatemala?

«Ça risque d'être assez conflictuel, c'est sûr. Mais on vient de construire la première salle de cinéma pour films indépendants. Le lieu est un peu fou car c'est un ancien cinéma porno, qui est ensuite devenu une église évangéliste (rires)! Maintenant on s'empare du lieu, et 'Tremblements' y sera présenté!»

Stanislas Ide

En quelques lignes

Pablo vient de faire son coming-out auprès de sa famille bourgeoise. L'histoire pourrait s'arrêter là, mais sa femme et ses proches lui tendent la main pour qu'il se ‘repentisse'. Pour l'obliger à commencer une thérapie de conversion, ils vont jusqu'à lui interdire de revoir ses enfants… Ce grand film venu tout droit du Guatemala est un vrai plaisir de cinéphile, grâce à sa mise en scène imagée (de vrais tremblements de terre symbolisent les chocs ressentis par la famille) et ses acteurs impeccables (mention spéciale à la femme du pasteur évangéliste, véritable diablesse en escarpins). Au-delà d'une histoire bien emballée, le réalisateur Jayro Bustamante (‘Ixcanul') développe une réflexion fascinante sur les racines de l'homophobie. C'est la puissance de son héros Pablo, un homosexuel dont le coming-out ne suffit pas à le rendre heureux, puisqu'il continue à porter la honte et la culpabilité absorbées toute sa vie. (On pense à Marc-André Grondin, dans le tout aussi réussi ‘C.R.A.Z.Y.', sorti en 2005). Devant l'absurdité des scènes de conversion, on bascule entre le rire jaune et la chair de poule. Pour finir par se dire que, malgré ses efforts, l'Église ne serait pas grand-chose sans nos (soi-disant) péchés…(si) 4/5