Didier Van Cauwelaert : « Il est urgent de radicaliser la bienveillance »

Loin d'une mollesse ou d'une valeur désuète, Didier Van Cauwelaert considère la bienveillance comme «une arme absolue», qu'il est urgent de radicaliser pour répondre aux crises que traversent nos sociétés.
par
ThomasW
Temps de lecture 4 min.

Vous postulez que la «bienveillance est une arme absolue». Pourtant, elle est parfois associée à une faiblesse, une naïveté.

«Étymologiquement, ça veut juste dire ‘vouloir du bien'. Ce qui m'intéressait, c'était de voir les effets que ça a aussi bien sur autrui que sur soi-même. Dans cette logique d'affrontement et de tout à l'ego qui règne autour de nous, il s'agissait justement de sortir la bienveillance de cette assimilation fortement mièvre, à une mollesse ou à un refus de voir le monde tel qu'il est. Au contraire, la bienveillance est la seule réponse possible à ces malaises, à ces refus de dialogues. C'est à la fois une armure et une arme qui désarme l'adversaire. Elle crée un effet de surprise et une absence de prise sur vous. Elle vous aide à nettoyer de l'intérieur tout ce qui relève de la rancune et du ressentiment, à se libérer des toxines déposées par notre adversaire.»

Quels sont vos conseils pour l'appliquer au quotidien?

«D'abord, s'intéresser aux autres. C'est-à-dire se rappeler que c'est toujours une partie de nous et que l'on pourrait se retrouver à leur place. Ensuite, essayer de comprendre à quel moment et de quelle manière on peut agir pour eux. C'est également être conscient que faire un acte désintéressé, bienveillant, c'est aussi un plaisir solitaire. Enfin, pour être bienveillant avec les autres, il faut être en paix avec soi-même. Il faut être lucide et accepter de ne pas être irréprochable. Simplement, essayer de faire des choses positives avec ce qui peut être plus négatif en nous, ou moins reluisant. Il faut résonner en termes d'efficacité de la bienveillance: être conscient de ses capacités et de ses limites, et essayer d'être efficace avec ce qui est perfectible en nous.»

Selon vous, la bienveillance est aussi une arme contre les atrocités du monde.

«Oui, la force mentale de la bienveillance agit, on en a la preuve, de manière thérapeutique. Quand on a suffisamment de force mentale pour installer autre chose qu'une logique d'affrontement, elle peut même influencer, voire empêcher une guerre. Elle peut agir à distance, elle peut agir à proximité. C'est une force illimitée.»

Vous appelez à radicaliser la bienveillance. Que voulez-vous dire par là?

«Tout se radicalise. La bêtise, la violence, la haine… même le discours humanitaire. Il est urgent de radicaliser la bienveillance, c'est-à-dire de la pratiquer sans peur, sans honte, et sans modération. Le grand problème, ce sont les gens qui n'osent pas, qui ont peur de passer pour faible ou naïf. Il faut faire sauter ces verrous. Ce n'est pas une question de degré, c'est une question de la nature des actes. Ça peut être un sourire, protéger un plus faible… tout ce qui est à notre portée et même au-delà, si on le souhaite. Et ne pas laisser l'ego, la fierté de soi ou le principe de précaution freiner nos élans.»

C'est un ouvrage très personnel et plein de gratitude. Pourquoi avez-vous choisi d'enraciner ce sujet dans votre propre vie?

«Je me suis rendu compte que ce n'est ni par des préceptes moraux, ni par l'enseignement que je suis arrivé à la bienveillance. C'est par l'expérience et par l'exemple, de mon père et de sa résilience notamment. Il triomphait de l'injustice en employant des solutions parfois radicales de bienveillance qui désarçonnaient l'adversaire. J'ai absorbé ça quand j'étais gamin. Et puis je l'ai expérimentée très tôt, enfant, à travers la maltraitance. J'ai pu l'arrêter non pas en utilisant l'arme de l'adversaire, mais en trouvant des parades. Ensuite, c'était l'occasion aussi de dire merci à des personnes pour la bienveillance que j'ai reçue (que j'ai provoqué aussi, parfois), dont l'écriture de ce livre m'a permis d'en mesurer d'autant plus l'apport. La gratitude est un moteur essentiel. C'est le moteur de ma bienveillance, à la fois carburant et roue de secours. Et puis quel plaisir de dire merci, de partager cette gratitude et les surprises que la bienveillance des autres peut vous apporter!»

Oriane Renette

En quelques lignes

«La bienveillance est le contraire de la mièvrerie: c'est une arme de choc, une arme de joie, une arme absolue». Pour nous le prouver, Didier van Cauwelaert, Prix Goncourt 1994, nous emmène entre ses souvenirs, faits historiques et autres découvertes scientifiques. Tranchant avec la morosité ambiante, l'écrivain nous rappelle toute la puissance et l'efficacité de la bienveillance: un état d'esprit qui est à la fois arme absolue et armure idéale. Selon l'auteur, elle serait aussi le seul remède aux maux de notre époque. Usons et abusons donc de cette arme redoutable aux pouvoirs efficaces. À la croisée entre l'essai, l'autobiographie et l'ouvrage de développement personnel, cette ode à la bienveillance est aussi un beau témoignage de gratitude à tous ceux qui ont marqué le parcours de l'auteur. (or) 4/5

«La bienveillance est une arme absolue» de Didier Van Cauwelaert,aux éditions de l'Observatoire, 268 pages, 20€