Les écoliers thaïlandais soumis à douze commandements

par
Laura
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"Moi, serviteur de Sa Majesté, je mets mon coeur et ma tête à ses pieds", entonnent 200 lycéennes. En Thaïlande, la junte alterne répression et "éducation" pour protéger une monarchie construite sur le culte du roi, qui vient de fêter ses 87 ans. Comme chaque semaine, devant des portraits du roi Bhumibol Adulyadej et de Bouddha, les adolescentes en uniforme entonnent ce chant qui a bercé des générations de Thaïlandais.

La junte arrivée au pouvoir par un coup d'Etat il y a six mois a encore renforcé la place de la royauté dans les programmes scolaires, multipliant en parallèle les mises sous verrous des auteurs de crime de lèse-majesté. Les livres d'Histoire traitaient déjà largement du rôle-clef dans le développement du pays du roi et de ses prédécesseurs de la dynastie des Chakri, qui règne sur le royaume du Siam depuis le XVIIIe siècle. Mais avec son nouveau programme d'éducation civique, basé sur les "Douze valeurs", la junte va encore plus loin dans la dévotion.

Douze préceptes

Dès l'entrée de l'école Satriwithaya, établissement réputé à deux pas du palais royal, les douze principes moraux de la junte sont affichés sur un grand panneau vert, comme requis par les militaires à travers tout le pays. "Aime la Nation, la religion et la monarchie", enjoint le premier. "Comprends correctement la démocratie, avec le roi comme chef d'Etat", poursuit le septième. "Pratique de bonnes actions comme l'enseigne le roi", dit le neuvième. L'heure hebdomadaire d'éducation civique tourne autour de ces douze préceptes, mis en situation, comme l'ont appris les professeurs lors de récents séminaires. Les autres préceptes appellent notamment à être honnête et patient, à travailler dur, à maintenir les traditions thaïlandaises, à développer la maîtrise de soi.

"Les douze valeurs sont l'identité de la Thaïlande. Et elles feront de nous de bons citoyens du pays", s'enthousiasme l'enseignante de cette école de filles, Punnawan Numprasong. Les adolescentes se précipitent au tableau pour écrire les douze mots-clefs. Quand vient le moment de présenter, en petit groupe, la saynète illustrant chacun des douze principes, le roi revient comme un leitmotiv. Pour illustrer le principe numéro trois ("Gratitude envers les parents"), un groupe de collégiennes explique qu'il faut "faire comme le roi, qui s'est précipité à l'hôpital quand sa mère était malade".

"Sans rois, pas de Thaïlande"

"Le pays a été construit grâce aux rois. Sans rois, il n'y aurait pas de Thaïlande", explique après le cours Napatsorn Bunyaphate, lycéenne de 15 ans. Le culte de la personnalité du roi, enseigné depuis des décennies, contribue grandement à créer un sentiment d'attachement au monarque, sous le règne duquel ont vécu tous les Thaïlandais nés depuis 1946, année de la montée sur le trône de celui qui détient le record du plus vieux monarque en exercice.

A cela s'ajoute le fait que les voix critiques sont inaudibles dans ce royaume doté d'une des lois sur les crimes de lèse-majesté parmi les plus strictes au monde, qui poursuit les contrevenants jusque sur internet. Plusieurs jeunes Thaïlandais sont en prison pour crime de lèse-majesté, certains pour avoir pris part à une pièce de théâtre dans une prestigieuse université de Bangkok.

Une société de robots

Mais si une majorité silencieuse semble répéter les 12 valeurs sans ciller, certains étudiants se rebellent contre cette "récitation" pour "robots", un mode d'apprentissage qui imprègne largement le système d'éducation thaïlandais, peu performant par rapport à ses voisins asiatiques, en raison notamment du manque de place laissée à l'esprit critique. "C'est une idée d'un autre temps, qui ne convient pas à l'éducation du XXIe siècle", critique une lycéenne du groupe "Education pour la libération du Siam", qui a manifesté avec quelques camarades contre les douze principes devant le ministère de l'Education. "On ne peut pas vivre dans une société de robots identiques, tous programmés avec le même logiciel", ajoute-t-elle, sous couvert de l'anonymat.

Le chef de la junte, le général Prayut-Chan-O-Cha, aime à rappeler lors de son adresse télévisée hebdomadaire le rôle fondateur du roi. "La nouvelle génération est consciente du fait que le bien-être et le bonheur du peuple thaïlandais résultent des programmes de développement lancés par Sa Majesté", a-t-il ainsi déclaré le mois dernier. Il a cité en exemple une odyssée de 500 kilomètres à vélo par deux jeunes Thaïlandais. Leur but: "réaliser leur rêve de venir présenter leurs hommages au roi", hospitalisé depuis plusieurs semaines à Bangkok.

Douze crouts-métrages

Au-delà des écoliers, la junte cherche à toucher leurs aînés avec ses "douze valeurs". Elle a ainsi fait réaliser 12 courts-métrages, diffusés à la télévision et dans les cinémas du pays. Car même si le roi n'a officiellement pas de rôle politique dans cette monarchie constitutionnelle, aucun renversement ne se fait sans son aval, selon les analystes. Selon les analystes, les putschistes de mai veulent empêcher, par un travail en profondeur au sein de la société, tout retour en politique des ex-Premiers ministres Thaksin et Yingluck Shinawatra, frère et soeur qui remportent les élections depuis 2001.