L'urine, le nouvel or jaune?

Alors que l'humanité doit urgemment trouver des sources d'énergie différentes et que les ressources naturelles souffrent de nos activités, il existe un liquide produit à profusion sur la Terre entière qui pourrait devenir une alternative crédible dans divers domaines: l'agriculture, l'énergie, la construction, etc.
par
Pierre
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Cela peut prêter à sourire, mais pour de nombreux scientifiques, le sujet est on ne peut plus sérieux. Rendez-vous compte… Chaque jour, l'humanité produirait près de 7 millions de tonnes d'urine. Et un seul petit litre contient près de 6g d'azote, 1g de phosphore et 2g de potassium. Des nutriments que les plantes adorent.

En 2016, Renaud de Looze publiait même, aux éditions Terran, "L'urine – De l'or liquide au jardin", dans lequel il proposait des conseils pratiques à destination des agriculteurs. Pour cet ingénieur et pépiniériste, ce liquide agirait ainsi en symbiose avec le compost et autre fumier. La vie microbienne du sol s'en trouverait améliorée, tandis que les amendements organiques favoriseraient la minéralisation de l'urine, et permettraient dès lors aux plantes de mieux assimiler les nutriments qui la composent.

Renaud de Looze évalue, dans son ouvrage, la bonne dose entre 1 et 3L par m² durant la saison, ou 1L d'urine pure par litre de compost si l'on combine les deux. Il faut néanmoins attendre d'une à deux semaines avant de commencer à planter. Mais, selon lui, on peut également diluer 50cl d'urine dans un arrosoir de 10L d'eau pour pouvoir arroser de quatre à six fois les cultures durant la saison. Mais ce type de fertilisation doit toutefois être stoppé près d'un mois avant la récolte.

L'urine est déjà souvent utilisée en Afrique, notamment pour la culture vivrière. Et sa richesse en phosphore pourrait également à l'avenir palier à la raréfaction des gisements de phosphate et donc d'en limiter l'exploitation des mines.

L'an dernier, la mairie de Paris avait d'ailleurs testé des ‘uritrottoirs', soit des urinoirs écolos munis d'un système de recyclage et couplés à une jardinière. L'urine y était "valorisée grâce à un premier filtrage par la paille, limitant les odeurs désagréables", expliquait la mairie sur son site. "La paille et l'urine sont ensuite collectées et compostées, permettant ainsi la récupération de l'azote et du phosphate présents naturellement et en quantités importantes dans l'urine. À terme, ce dispositif permet à l'urine de revenir fertiliser les plantes." Mais l'idée avait rapidement valu une volée de bois vert, de nombreux habitants trouvant ces ‘uritrottoirs' sexistes (car réservés aux hommes), voire même obscènes.

T'as pas cent briques?

Construire sa maison en urinant, c'est possible? Prochainement peut-être… En novembre dernier, des chercheurs sud-africains de l'Université du Cap ont en effet présenté des briques fabriquées à partir d'urine humaine. Ces ‘bio-briques', une innovation mondiale, pourraient utilement remplacer les habituelles briques en terre cuite ou béton, selon eux.

En utilisant une technique inspirée de la formation naturelle des coquillages, ces chercheurs sont parvenus à "faire pousser" des prototypes de ces briques d'un nouveau genre. Le processus a pris de six à huit jours. "Ce processus est étonnant parce qu'en gros, nous avons juste fait pousser des briques à température ambiante", a expliqué Dyllon Randall, le professeur qui a supervisé la recherche.

Les chercheurs ont ainsi pu produire cette ‘bio-brique' au bout d'un an, en laboratoire. Mélangeant de l'urine, du sable et des bactéries, ils se sont servis d'un processus naturel -la précipitation microbienne de carbonate- pour fabriquer leur brique. Toutefois, la recherche n'en est encore qu'à ses balbutiements. Pour parvenir à fabriquer une brique, il faut actuellement jusqu'à 30 litres d'urine. Mais au final, le matériau ressemble en tous points à du calcaire. "Ce procédé imite la façon dont le corail se forme et les processus naturels de production de ciment", ajoute Suzanne Lambert, étudiante en génie civil et membre de l'équipe de recherche.

Les briques habituelles sont fabriquées dans des fours où elles sont cuites à 1.400ºC, un procédé qui provoque d'importantes émissions de dioxyde de carbone. Les ‘bio-briques', elles, sont "cultivées" dans du sable où sont semées des bactéries pour produire une enzyme appelée uréase. Celle-ci réagit avec l'urée présente dans l'urine pour produire un composé semblable à du ciment qui s'associe avec le sable. Le produit ainsi obtenu peut être moulé et sèche à température ambiante, sans four ni émissions de gaz à effet de serre.

Une source d'énergie

On le voit, l'urine a donc plus d'un atout dans sa manche. Mais c'est en tant qu'énergie du futur qu'elle pourrait révolutionner le monde. En 2016, des chercheurs de l'Université de Bath, en Angleterre, avaient en effet annoncé avoir mis au point une pile à combustible "microbienne", qui se nourrissait des processus biologiques naturels des bactéries "électriques" afin de transformer de l'urine en électricité. Une seule pile de 6cm² peut générer deux watts par m³, soit assez d'énergie pour alimenter un smartphone.

Cette technologie, baptisée ‘Pee-Power' ou ‘urine tricity', a aujourd'hui pris son envol. L'Université de Bristol a d'ailleurs testé ce système, en juin dernier, à Nairobi, au Kenya, après un essai réussi dans un pensionnat à Kisoro, en Ouganda, mais aussi au festival de Glastonbury.

Le professeur Ioannis Ieropoulos et son équipe y avaient en effet installé des toilettes éclairées par l'alimentation électrique alimentée par l'urine. Près de 40 toilettes utilisées par les quelque 135.000 festivaliers, ont alimenté dix panneaux d'affichage durant le festival. Mais tout cela reste encore en phase de test. Nous ne sommes qu'aux prémices d'une nouvelle source d'énergie. Il vous faudra donc attendre encore un peu avant d'allumer votre télévision après avoir pissé dans une cuvette.

Pierre Jacobs