À quand le retour de la loutre en Wallonie ?

Un frisson dans l'eau, une silhouette qui disparait furtivement au creux des meandres... Voila peut-etre a quoi ressemble une rencontre avec la loutre d'Europe.
par
Camille
Temps de lecture 7 min.

De nos jours, bien peu de naturalistes de nos régions ont eu le privilège de croiser le sillon de la fée des rivières. Persécutée depuis des siècles d'une part, et ayant vu son habitat se dégrader ou disparaitre d'autre part, la loutre a en effet pratiquement disparu de Belgique (mais aussi des pays voisins) dans la seconde moitié du 20ème siècle. Cependant, depuis sa protection dans les années 1970, elle a progressivement fait son retour en toute discrétion dans différentes régions d'Europe de l'Ouest.

Retour sur une histoire (en eau) trouble

Au cours des siècles précédents, la loutre a largement été persécutée. Vue comme une concurrente en raison de son régime piscivore, chassée pour sa chair ou sa fourrure, elle n'a pas été épargnée. Le coup de grâce a suivi au 20ème siècle avec une intensification de sa destruction, une dramatique disparition de ses habitats, l'arrivée de polluants tels que les PCB et la dégradation généralisée de la qualité de l'eau ou encore la raréfaction des proies.

Face à la diminution massive des populations en France, sa chasse fut interdite en 1972 et son statut de protection fut renforcé dès 1976. Malheureusement, à cette époque, la loutre était déjà devenue très rare et seuls quelques « refuges » subsistaient, notamment dans le Massif Central et sur la façade atlantique. La situation apparaissait ainsi critique pour l'espèce. Mais de manière surprenante, dès la fin des années 1980 et le début des années 1990, la loutre a peu à peu recolonisé naturellement une série de régions du Grand Sud-Ouest de la France. Cette recolonisation est toujours en cours. La loutre gagne ainsi du terrain jour après jour et se réinstalle actuellement à grande échelle sur plus de la moitié du territoire français. Cependant, de nombreuses questions demeurent encore concernant l'ampleur de ce retour et l'origine des populations recolonisatrices.

En Wallonie, l'histoire du déclin est assez similaire. La loutre était commune et présente dans la plupart des cours d'eau jusqu'à la fin du 19ème siècle. À partir de la seconde moitié du 20ème siècle, l'association de primes à la destruction et de la valeur importante de la fourrure ont précipité l'extinction des populations. La chasse fut interdite en 1973 mais cette décision arriva trop tard et la loutre était déjà devenue très rare sur l'ensemble du territoire wallon. Bien qu'elle fût intégralement protégée en région wallonne dès 1983, les dernières populations y subirent de plein fouet une série de facteurs aggravants tels que la destruction de l'habitat et les pollutions de natures diverses.

Les données de présence en Belgique se sont alors raréfiées à l'extrême et seule une « dernière » loutre morte est retrouvée à Glain en 2002. Ainsi, au contraire de la France, aucun processus de recolonisation n'a été observé au cours des dernières années. Depuis plus de vingt ans, les indices de présence en Wallonie sont en effet devenus extrêmement rares. Cependant, de possibles empreintes dans la neige auraient été observées en province de Luxembourg en 2006 puis de potentielles épreintes sur l'Our en 2009. Diverses données ont également été signalées dont très peu d'entre elles ont pu être authentifiées... Puis vint une bouffée d'espoir avec l'observation d'une empreinte dans la neige en Province de Namur en 2011, validée sur observations.be, le portail web de Natagora.

En 2014, une nouvelle donnée a été certifiée en Wallonie mais classée « secret-défense » pour garantir la quiétude de cette espèce si farouche. La même année, quelques données ont également été validées en Flandre, correspondant probablement à des animaux provenant des populations néerlandaises.

 

Bien que peu de traces soient observées actuellement, la loutre pourrait ainsi être encore présente sur notre territoire. Le faible nombre d'indices observables dans nos régions pourrait être lié aux très faibles densités des populations, les individus ayant alors moins tendance à marquer leur territoire (dépôts d'épreintes bien visibles).

Quoi qu'il en soit, même si quelques individus survivent potentiellement en région wallonne, leurs densités ne sont plus assez importantes pour refonder une population viable. Ce phénomène pourrait être associé à un manque de diversité génétique mais également à la difficulté de trouver un partenaire pour la reproduction. D'autre part, les conditions pour accueillir l'espèce ne sont peut-être pas encore suffisamment réunies : des rémanences de certains polluants sont à craindre sans compter un manque de quiétude ou de restauration des habitats. Néanmoins, bien que la loutre soit souvent vue comme une espèce bio-indicatrice de la qualité des rivières, la qualité de l'eau n'est peut-être pas aussi limitante que généralement considéré. En effet, l'espèce est notamment retrouvée en Bretagne ou dans le sud de la France (par exemple dans des canaux en Camargue), dans des rivières fortement anthropisées, polluées... mais poissonneuses (elle s'y nourrit alors de « poissons blancs », de la famille des Cyprinidés) ! Et c'est peut-être là que le bât blesse en Wallonie : les populations de poissons ne seraient peut-être pas suffisamment en bonne santé pour accueillir ce prédateur.

Un retour en provenance de chez nos voisins?

Dans les pays limitrophes, diverses populations de loutres sont présentes. Aux Pays-Bas, la loutre a été réintroduite dans le nord du pays et la population se développe bien. Quelques-uns de ces animaux semblent d'ailleurs faire des incursions en Flandre. En France, plus de la moitié du territoire est actuellement recolonisée par la loutre qui est observée jusqu'en Champagne, Bourgogne et Basse-Normandie. En Alsace, quelques animaux issus d'un ancien programme de réintroduction subsistent également. Les populations françaises montrent une bonne dynamique de colonisation. En Allemagne, les populations de loutres sont essentiellement concentrées à l'est du pays. Cependant, quelques petites populations survivent à l'ouest dont certaines à proximité de nos frontières.

 

La bonne dynamique de toutes ces populations voisines et leur proximité sont ainsi favorables à une recolonisation naturelle de nos régions. La loutre ayant une bonne capacité de dispersion, y compris sur de grandes distances, et étant capable de contourner les obstacles, quelques mesures appropriées pourraient l'aider à atteindre rapidement nos régions par ses propres moyens.

Parmi ces mesures, la restauration et la préservation de son habitat et de la qualité de l'eau seraient essentielles. La connectivité entre les milieux propices serait également importante, notamment par l'aménagement de contournements de barrages ou de passages parmi le (dense) réseau routier wallon. Le projet LIFE « loutre » qui s'est déroulé en Wallonie de 2005 à 2011 visait entre autres ces objectifs.

La loutre demain en Wallonie?

Finalement, la Wallonie sera peut-être le carrefour de rencontres de toutes les populations des pays limitrophes... pour former un melting-pot populationnel dont notre pays a le secret ! Si une telle rencontre permet de booster les populations et offrir un bel avenir à la fée des rivières dans notre région, pourquoi pas ?

Plusieurs études récentes estiment que d'ici moins de 20 ans, il est hautement probable que des loutres issues des pays voisins viendront s'installer en Belgique.

 

Cependant des projets de réintroduction ont été évoqués récemment. Il faut néanmoins être extrêmement prudent quant à de telles idées. Une étude récente (mémoire de Master à l'ULg) vient de montrer que les loutres vivant dans la majorité des élevages européens actuels sont vraisemblablement des hybrides avec une sous-espèce du sud-est asiatique. Une réintroduction à partir de tels individus serait ainsi une véritable catastrophe pour le maintien de l'intégrité génétique de notre sous-espèce ouest européenne. Une telle « pollution génétique » pourrait notamment avoir un impact au niveau des adaptations écologiques locales acquises par notre sous-espèce tout au long des derniers millénaires.

Compte tenu de ces éléments et de la bonne dynamique des populations voisines, il n'y a ainsi pas lieu d'intervenir et de vouloir réintroduire cette espèce dans nos régions. Il nous faudra seulement être encore un peu patient et la loutre pourrait bel et bien faire son retour par elle-même, pour peu que nous lui laissions un peu de temps, de place et des milieux accueillants.

La génétique pour mieux comprendre son histoire...

Une étude génétique a été menée sur la moitié ouest de la France par le Conservatoire des Espaces Naturels de Midi-Pyrénées, le Groupe de Recherche et d'Etude pour la Gestion de l'Environnement et le laboratoire de génétique de la conservation de l'ULg.

Les analyses suggèrent une structuration génétique en lien avec la présence de différentes populations refuges. On observe aussi des mouvements de loutres à longue distance avec des contacts de plus en plus marqués entre les différentes populations. Ce mixage progressif est tout à fait favorable au devenir de l'espèce. En effet, ce mélange génétique permet de revitaliser les populations et de reconstituer leur patrimoine génétique, garant de leur adaptation aux changements environnementaux.

Ce type d'étude devra non seulement être continué en France mais également au niveau de la Belgique pour mieux comprendre quelle sera l'origine des premiers animaux qui recoloniseront notre pays par le sud et les mélanges possibles qui pourront exister par la suite sur notre territoire.

Lise-Marie Pigneur et Johan Michaux