VIDEOS. Bolivie: La « lucha libre », le symbole fort des cholitas

par
Maite
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En Bolivie, la majorité des femmes doivent se battre quotidiennement contre le machisme et la violence des hommes. C'est le cas, notamment, des cholitas. Ces femmes de la campagne, connues pour leur chapeau melon et leur jupe aux multiples jupons, sont en réalité doublement discriminées car elles sont également des aymaras, c'est-à-dire des indigènes. Mais ne vous méprenez pas: ces femmes, pourtant de nature très timide, ne se laissent pas faire. Certaines ont trouvé un moyen original de revendiquer leurs droits: tous les dimanches, elles montent sur le ring et pratiquent ce que l'on appelle, en Bolivie, la «lucha libre».

Photos M. Hamouchi

Il est 16h30 à El Alto, une banlieue située à plus de 4.000 m d‘altitude dans les montagnes boliviennes à l'ouest de la capitale, La Paz. Une foule s'amasse dans un petit stade, appelé le Colisée, au milieu duquel trône un ring spécialement monté pour l'occasion quelques minutes avant l'ouverture des portes. Les touristes prennent place sur des chaises en plastique disposées autour du ring tandis que les Boliviens s'installent dans les gradins, pop-corn et soda à la main. Aujourd'hui, dimanche, c'est le grand jour : celui de la lucha libre, le catch venu du Mexique.

Tous les dimanches, touristes et locaux attendent avec impatience ce pourquoi ils se sont déplacés jusqu'à El Alto... les combats dans lesquels on retrouve des cholitas, ces Boliviennes issues du métissage aymara, quecha et espagnol et reconnaissables grâce à leur tresse, leur chapeau melon et la pollera, la jupe à plusieurs volants. Sur le ring, les cholitas se battent soit entre elles, soit contre des hommes...

Plus qu'une chorégraphie

À 17h enfin, les cholitas montent sur le ring. Il s'agit d'‘Angela la Simpatica' et de ‘Martha la Alteña'. Le public accueille les deux indigènes comme il se doit. Une avancée dans ce pays qui a connu -et qui connaît encore aujourd'hui- racisme et machisme.

Contrairement à ce que l'on peut penser, ce combat de catch ne se résume pas à une chorégraphie. Les cholitas se donnent des coups qui les blessent réellement. Lors de la lutte à laquelle nous avons assisté, Angela est projetée dans le public et se cogne la tête contre la barrière qui sépare le ring des touristes. Pas de doute: les cholitas ne font pas semblant, comme nous le confirmera plus tard Angela, de son vrai nom Leonor.

Après 20 minutes de combat, Angela attrape son adversaire par l'arrière et lui coince les bras et les jambes. Martha est désemparée. Elle se débat, en vain. Angela ne lâche pas sa proie. Quelques minutes plus tard, la lutte se termine. Angela est déclarée vainqueur. La foule l'acclame, la jeune femme est ravie... mais épuisée. «Le combat que nous menons ressemble à une chorégraphie de danse mais nous nous donnons de vrais coups. Cette fois-ci, par exemple, je me suis fait mal à la tête et au ventre», nous explique-t-elle.

Les cholitas ne savent pas à l'avance qui va gagner la joute. Cela dépend des coups qu'elles donnent. «Martha était de dos quand j'ai attrapé ses bras et ses jambes», raconte-t-elle. «C'est comme cela que j'ai gagné. Si je n'avais pas bien réalisé cette prise, Martha aurait pu me donner un coup, et j'aurais perdu.» Angela est fière de sa victoire, surtout que sa mère a, pour la première fois, assisté au combat. «Elle n'était jamais venue avant», nous confie-t-elle. «Elle n'aime pas quand je me bats car elle a peur que je me blesse.»

Aussi fortes qu'un homme

Alors qu'Angela rentrera chez elle victorieuse, Martha encaisse difficilement sa défaite. «J'aime gagner», nous affirme-t-elle. «Je me suis fatiguée et mon adversaire en a profité.» ‘Martha la Alteña', de son vrai nom Jeni, combat depuis une quinzaine d'années. Elle a grandi dans une famille de lutteurs ; ce hobby est également pratiqué par son père, son frère et sa sœur. Cette cholita, âgée de 40 ans, a commencé à lutter suite à la violence du père de ses deux premiers enfants. La première fois qu'elle est tombée enceinte, elle n'avait que 18 ans. «Quand il a commencé à me frapper, je n'osais rien lui dire car je savais que j'avais déjà déçu mon père», se souvient-elle. Un jour, alors que son compagnon de l'époque la battait, Jeni s'est rebellée. Elle a pris une poêle et l'a frappé à son tour. «J'en avais assez d'être la martyre. Je me suis dit ‘ça suffit!' C'est là que j'ai décidé de rentrer dans la lutte. Pour que plus personne ne me touche, ne m'humilie et ne me marche dessus.» Jeni a donc décidé de devenir lutteuse. Plus tard, elle se séparera de son compagnon et rencontrera un autre homme, également lutteur. «Nous nous entraînons ensemble dans notre cour», explique-t-elle. «Il nous arrive même de combattre l'un contre l'autre sur le ring. Mais je n'aime pas cela parce qu'il me protège et me laisse gagner.»

La lucha libre des cholitas est devenue un symbole de lutte contre la discrimination envers les femmes. En 2013, un rapport des Nations unies et un autre de l'Organisation Panaméricaine de la Santé ont qualifié la Bolivie de pire pays d'Amérique latine en ce qui concerne les violences envers les femmes. À la Paz et à El Alto, les cholitas lutteuses sont ainsi devenues un exemple pour les autres Boliviennes qui connaissent quotidiennement la violence de leur mari. «Après les matches, les femmes viennent me demander conseils. Je leur réponds que si leur mari est méchant, il faut qu'elles les quittent.» Pour cette Aymara, la lutte est, après ses enfants, la chose la plus belle qu'elle ait connue.