Sophie Marceau dans un film poignant sur l’euthanasie: «En France, il y a pas mal de sujets dont on ne parle presque jamais»

Pour certains d’entre nous, Sophie Marceau restera l’éternelle Vic de ‘La Boum’. Une familiarité avec son public que François Ozon (‘Huit Femmes’) utilise avec malice et douceur dans ‘Tout s’est bien passé’. Qui de mieux que l’actrice préférée des Français pour incarner une femme changeant progressivement d’avis sur l’euthanasie? Présente au dernier festival de Cannes pour défendre le film, la comédienne nous parle de son rapport à la mort, et nous explique pourquoi son Hexagone se voile encore un peu la face sur le sujet.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 5 min.

‘Tout s’est bien passé’ parle du droit de mourir dignement. La mort est-elle un sujet qui vous préoccupe?

Sophie Marceau: «C’est un sujet omniprésent, une expérience qu’on partage tous mais dont on parle si peu! Et un jour, comme ça, vous vous dites: ‘Ah mince, c’est vrai, je vais mourir’ (rires). Soudain vous pensez à la manière dont vous aimeriez que ça se produise. C’est pour cela que j’ai senti un déclic en lisant le scénario.»

Comment avez-vous préparé le rôle d’Emmanuelle, qui a vraiment existé?

«Tout était écrit, jusqu’à la couleur de ses vêtements. Avec François (Ozon, Ndlr), qui la connaissait, on a essayé de coller à son caractère compatissant et altruiste. Pour le reste, on a regardé des photos d’elle et de son père, notamment la vidéo où il affirme son souhait d’en finir. Exactement la même que celle qu’André Dussolier enregistre dans le film. C’était très important pour André de la voir.»

Comment éviter le sentimentalisme avec un sujet pareil?

«C’est le job du réalisateur. C’est lui le chef d’orchestre, et il décide si on ajoute des trompettes ou des violons. Emmanuelle n’était pas du genre à faire des vagues, ça aide. Elle s’intéressait plus aux problèmes des autres qu’aux siens. Il y a les gens qui aiment s’occuper des autres, et ceux qui aiment qu’on prenne soin d’eux. Son père a eu raison de lui demander de l’aide, car il savait qu’elle l’encaisserait sans que ce soit son désir pour autant. C’est une histoire de famille et de ses névroses en somme.»

Votre duo avec André Dussolier fait des étincelles. Vous vous connaissiez?

«Pas du tout! On s’est rencontrés deux ou trois fois avant le début du tournage, mais c’est à peu près tout. (Réfléchit un temps, et poursuit sur le ton de la confidence) Non mais les acteurs sont étranges tout de même. André est de ceux qui parviennent à passer d’une personnalité à l’autre en un claquement de doigts. Au début, on ne le voit presque pas, il reste dans sa loge pour se concentrer. Puis, sur le plateau, il préfère éviter le regard des gens autour de lui. Moi, je me suis demandé comment agir avec lui. Je devais me faire toute petite? Lui dire doucement: ‘Bonjour monsieur, je suis Sophie Marceau, je suis censée jouer votre fille, enfin si ça ne vous dérange pas…’ (rires)? Et puis on s’est fait face, François a crié ’action’, et je suis devenu sa fille et lui mon père. C’est super bizarre, mais c’est comme ça. On quitte la réalité, et on entre dans la sienne (lance un clin d’œil à François Ozon, donnant lui aussi une interview, quelques mètres plus loin, Ndlr).»

Que pensez-vous de la décision du père de recourir à l’euthanasie?

«Qu’on soit d’accord ou non, ça ne change absolument rien. C’est le choix de ce gars, pour sa propre vie, et il ne change pas d’avis. Alors que faire? Entrer en conflit pour le garder en vie? Ça n’engage que moi, mais je crois qu’il vaut mieux être là, accompagner ses proches, savoir quand dire au revoir.»

En Belgique, la loi est plus libérale concernant l’euthanasie. La France a-t-elle besoin de discuter de…

(Répond sans attendre) «Oh oui! La France a besoin de discuter, point barre (rires)! Pas juste à propos de la mort… On parle beaucoup, c’est vrai, mais il y a pas mal de sujets dont on ne parle presque jamais. C’est notre esprit un peu bourgeois, avec tous les non-dits et l’immobilité qui vont avec. Même dans les familles! En France, on parle facilement des tabous à un niveau intellectuel, mais c’est rarement concret.»

Review

De ‘Sitcom’ à ‘Été 85’, François Ozon dessine toujours un monde en apparence classique, mais déconstruisant nos conventions. Comment? En dirigeant notre regard vers ses comédiens sublimés, pour mieux nous faire avaler leurs histoires ambiguës ou leurs choix transcendants. Il y a eu Alexandra Lamy dans ‘Ricky’ pour démystifier l’image du bonheur parental. Bernard Giraudeau dans ‘Gouttes d’eau sur pierres brûlantes’ pour casser l’image de l’homo triste s’excusant d’être là. Et pour parler d’euthanasie dans un pays encore à la traîne, rien de tel qu’un cheval de Troie nommé Sophie Marceau. Autrement dit, le visage le plus adoré de France. Elle joue Emmanuelle, une femme réticente à l’idée d’aider son père (André Dussolier) à en finir, mais incapable de rester les bras croisés. Finalement, ce joli drame s’avère peu subversif pour nous les Belges, mais son magnifique duo père-fille vous donnera envie de serrer quelqu’un dans vos bras en sortant de la salle. Que demander de plus? 4/5