«Blue Jean» ou l’amour interdit d’une prof de gym queer

L’idée d’enseignants queer suscite encore des réactions aujourd’hui. Au milieu des années 1980, elle avait même fait scandale et une législation très stricte avait été adoptée en Angleterre. Dans son drame intime ‘Blue Jean’, la réalisatrice Georgia Oakley aborde cette époque conservatrice du point de vue d’une prof de gym qui doit absolument cacher une part importante de son identité.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 4 min.

Pourquoi avez-vous choisi le métier de prof de gym pour le personnage principal?

Georgia Oakley: «Je savais que Jean devait en tous les cas être une enseignante, vu le rayonnement et la valeur de ce métier. En approfondissant le sujet, j’ai commencé à réaliser combien cela devait être différent pour une enseignante queer qui fait un travail physique avec des élèves par rapport à quelqu’un qui se tient simplement devant une classe et enseigne les maths, par exemple. Dans les années 1980, il y avait encore partout des douches communes aussi. Quand on sait que beaucoup de gens se basent sur la supposition homophobe que les personnes queer sont, par définition, sexuellement agressives, cela donne une situation particulièrement tendue. Quelqu’un comme Jean sera très consciente de ce préjugé et se sentira donc très gênée parmi ces corps.»

Dans la première scène, Jean explique à ses élèves la réaction de combat ou de fuite. Est-ce, au fond, l’essence de tout le film?

«En fait, ce n’est pas toute l’histoire, car on peut réagir de trois manières au danger: se battre, fuir ou se figer. Et Jean est quelqu’un qui se fige surtout. Je voulais parler de la façon dont chacun de nous porte différents masques. En fonction de la situation dans laquelle nous nous trouvons et des gens que nous côtoyons, nous jouons des rôles différents. Jean évolue dans des mondes et des endroits très divers. Avec l’histoire de la Section 28, elle a dû le faire encore plus que d’habitude.»

Avez-vous rencontré des enseignants qui l’ont vécu?

«Certainement, et ils ont confirmé ce que je pensais. Les seuls qui ont eu le courage de sortir du placard étaient des enseignants du supérieur ou des intérimaires. Et ils vivaient généralement à Londres ou dans le sud de l’Angleterre. Des profs de gym queer du nord du pays se taisaient certainement à cette époque. Et ils ont tous déclaré qu’à cause de cette loi, la Section 28, ils avaient davantage souffert en termes de santé mentale.»

Pourtant jamais aucun enseignant n’a réellement perdu son job à cause de cette loi.

«Il y a eu un prof à Bradford qui a été licencié à cause de son orientation, mais il a été réintégré quelques semaines plus tard. En principe, vous avez donc raison. À l’époque, cependant, tant de rumeurs circulaient sur des profs qui avaient été mis à la porte et on en parlait tellement aux nouvelles que cela ne changeait rien. L’idée de pouvoir être viré pesait suffisamment. C’était une épée de Damocles constamment au-dessus de votre tête. Personne n’osait prendre le risque. Cela rend la situation doublement triste, en fait.»

Votre actrice principale, Rosy McEwen, est formidable dans le film. Et la ressemblance physique entre vous deux est frappante. Un hasard?

(rires) «Vous n’êtes pas le premier à le dire. Je ne l’ai jamais vu, et Rosy non plus, en fait. Je peux juste dire que j’ai mis beaucoup de moi dans le personnage de Jean, et dans tous les autres personnages. Un de mes amis a eu un jour cette belle formule: ‘Un film, c’est comme une poupée russe, et chaque personnage représente une autre facette de toi’. C’est tout à fait vrai.»

Cherchiez-vous un physique particulier pour le rôle de Jean?

«Non, j’ai choisi Rosy pour l’énergie qu’elle dégage. J’avais dès le départ un genre Nicole Kidman en tête, quelqu’un qui peut exprimer beaucoup d’angoisse sous-jacente et rester quand même distante. Rosie est comme un cygne. Elle se comporte différemment et peut communiquer énormément avec peu d’expression. Je suis très heureuse de l’avoir trouvée.»

BLUE JEAN

Jean est-elle lâche? Ou simplement prudente? Le fait est que le gouvernement britannique sous Thatcher vient de ratifier la Section 28, une loi qui interdit «la promotion de l’homosexualité» par les autorités locales. En tant que prof de gym (et fonctionnaire, donc), mieux vaut pour Jean de cacher son orientation sexuelle au monde extérieur. Elle en vient ainsi à mener une double vie: avec son amie engagée et dans les clubs gay, elle peut être elle-même, au travail elle garde ses distances. Mais l’arrivée d’une nouvelle élève chamboule tout et Jean sera contrainte de faire un choix. Avec son premier long-métrage ‘Blue Jean’ (qu’elle a écrit elle-même), la cinéaste britannique Georgia Oakley se révèle d’emblée une narratrice mature, capable de nourrir un personnage et de rendre l’esprit d’une époque en peu de mots. Avec l’actrice principale Rosy McEwen, elle dispose de la parfaite ‘partner in crime’ pour susciter notre empathie pour une femme prisonnière d’une situation impossible.

4/5

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