Johnny Depp se confie à Metro : « Je vis derrière des vitres »

Johnny Depp est retour au cinéma pour la première fois depuis le retentissant procès qui l’a opposé à Amber Heard. À l’occasion de la sortie de «Jeanne du Barry», Metro a rencontré l’acteur à Cannes.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 7 min.

Les stars ne manquent pas au Festival de Cannes cette année, mais c’est quand même Johnny Depp qui, une fois encore, attire le plus l’attention. À 59 ans, l’acteur est toujours aussi charismatique, ce qu’il prouve d’ailleurs largement dans le rôle de Louis XV, dans ‘Jeanne du Barry’, le film d’ouverture du festival. Metro n’a pas dû y réfléchir à deux fois lorsque l’occasion nous a été offerte de le rencontrer.

Y a-t-il des aspects de la vie d’un roi que vous trouvez reconnaissables?

Johnny Depp : «Reconnaissable est un grand mot. Je ne veux certainement pas me comparer à un roi et je ne me sens absolument pas de la sorte. Mais plus j’en apprenais sur Louis XV, plus je comprenais qu’il devait en tant que roi se diviser en 7, 8 ou 9 personnalités différentes. Et à chaque fois, il y avait un protocole spécifique, avec un langage spécifique. Ça fait quelque chose à un être humain, je pense.»

Est-ce aussi la raison pour laquelle vous avez voulu jouer Louis XV? Vous avez dit un jour: «Tous les personnages que je joue, sont au fond des gens brisés et des ratés.»

«Exactement. Qu’est-ce que cela doit faire de devenir roi à 12 ans, de voir chacun des plus petits aspects de sa vie devenir une routine? Louis ne l’a jamais choisi. Il savait dès sa naissance qu’il deviendrait l’un d’eux, qu’il devrait inévitablement renoncer à une bonne part de sa sensibilité et humanité. Tout cela a été gratté, effacé, pour faire de lui le parfait souverain. Mais je voulais tout de même montrer qu’il y a encore de l’espoir pour lui, qu’il n’est pas devenu totalement ce genre de personne condescendante, avec une plume dans le cul

Et vous, avez-vous le sentiment d’avoir toujours pu rester vous-même?

«Écoutez, je ne vais certainement pas me plaindre, car je m’estime très heureux d’avoir pu faire ce que je voulais faire. Mais il y a tout de même une chose que j’ai toujours trouvée bizarre. Quand vous avez du succès et devenez célèbre, il arrive un moment où vous remarquez que les gens vous dévisagent et chuchotent à votre sujet. Et vous réalisez que vous ne pouvez plus être anonyme nulle part. Cela fait déjà 38 ans que je vis avec ça. C’est dingue en soi de s’attendre à ce que quelqu’un qui doit grandir avec ça reste un tant soit peu normal. Ce qui est pire dans mon cas, c’est qu’avant cela, je n’étais déjà pas très normal.» (rires)

Comment faites-vous?

«J’ai appris à adapter ma vie à la situation. Je vis derrière des vitres. Des vitres de voiture, de train, d’avion, d’hôtel. Ma vie est scrutée à la loupe depuis mes 23 ans, et j’approche des 60. C’est une très longue période. Mais je le redis, je ne veux pas me plaindre. C’est ce que la vie m’a apporté et la façon dont je fonctionne. Une bénédiction et une malédiction. Il y a des aspects négatifs, mais d’un autre côté, je peux aussi m’isoler et me donner la possibilité d’être créatif de toutes les manières que j’estime nécessaires.»

Ces dernières années, vous avez fait plus de musique que de cinéma et vous vous êtes limité à un petit film par an, comme ‘Waiting for the Barbarians’ et ‘Minamata’. Cela vous fait-il plaisir d’être à nouveau sous la lumièreà un festival comme Cannes, avec une interprétation appréciée?

«Je dois avouer que je n’ai pas vu ma propre interprétation, je peux donc difficilement l’évaluer. Mais j’étais très présent au moment même. J’étais sur le terrain avec Maïwenn pour construire ce personnage. Je me sens ‘a lucky motherfucker’.» (rires)

Vous avez vraiment tourné au Château de Versailles. Quel effet cet environnement a-t-il eu sur vous?

«C’était d’une valeur inestimable. Vous passez dans ces beaux couloirs gigantesques, vous entendez au loin le brouhaha des figurants, vous passez un coin, vous arrivez dans la ‘Galerie des Glaces’ et tout d’un coup, c’est comme si vous avez voyagé à travers le temps. Cela m’a déboussolé un moment. Mais singulièrement, je n’étais pas mal à l’aise. En réalité, je m’y suis tout de suite senti chez moi.» (rires)

Vous ne jouez pas souvent dans des films en costumes traditionnels, à l’exception de ‘The Libertine’. Quel effet cela fait-il de se balader dans un monde qui a existé un jour, mais qui est tout de même très différent?

«C’est très intéressant. Le matin, j’allais jusqu’au plateau en marchant avec ces chaussures de l’époque et leurs talons qui claquent et je passais toujours dans cette ‘Galerie des Glaces’ devant le lit où Louis XV est né. Un peu plus loin, je tournais à droite et j’arrivais dans la longue galerie des statues de divinités romaines. En tant qu’acteur, j’étais sans cesse stimulé. Ce n’est pas comme si nous avions loué une belle maison au bord d’un lac. Tout le reste, nous l’avons tourné dans un studio. Versailles, c’était la mise en condition idéale.»

Le français a-t-il été un gros handicap?

«J’avais le sentiment que je maîtrisais suffisamment la langue pour m’amuser et amuser dans les scènes. Cela faisait partie de ce personnage historique, avec ses tics, etc. Lorsque j’ai rencontré Maïwenn pour la première fois, je lui ai quand même demandé: ‘Êtes-vous certaine de ne pas vouloir travailler avec un acteur français plutôt?’ Cela me semblait une meilleure idée.» (rires)

Hollywood a-t-il beaucoup en commun avec la Cour de Versailles?

«Cela dépend de ce que vous entendez par ‘Hollywood’. Le système de studios aime certainement la routine. C’est ce qu’ils recherchent, trouver une formule qui rapporte de l’argent et ensuite poursuivre et répéter celle-ci à l’infini. Je l’ai vu après les ‘Pirates des Caraïbes’. Tout d’un coup, c’était du genre ‘Aussi longtemps que nous mettons des personnages bizarres et rigolos dans nos films, nous gagnerons des tonnes d’argent!’ Cela fonctionne effectivement pour un temps, mais à un moment donné, inévitablement, le public en a assez. Cela fait déjà de nombreuses années que je discute comme ça avec des gens, et la plupart souhaitent la même chose d’un film: ils se réjouissent de voir quelque chose de nouveau ou de différent.»

Pouvez-vous vraiment y faire quelque chose en tant qu’acteur?

«J’ai toujours considéré comme ma responsabilité de me jeter à l’eau et de faire à chaque fois quelque chose que je n’ai jamais fait avant. C’est mon devoir de prendre des risques, même si cela signifie que je vais peut-être me casser la figure. Je dois avoir un but, une bonne raison de jouer dans un film.»

Il paraît que vous aimez porter une oreillette qui vous permet d’écouter toutes sortes de sons pendant que vous jouez. D’où vous est venue cette idée?

«De Marlon Brando! J’ai réalisé un film un jour, ‘The Brave’, et Marlon a eu la gentillesse d’y participer. Il portait à l’époque une oreillette, de sorte que sa secrétaire pouvait lui souffler les dialogues à distance. Il avait déjà 75 ans environ. J’ai réalisé alors qu’il serait possible d’utiliser ça pour d’autres choses, comme écouter de la musique. La musique donne un accès direct aux émotions. Elle évoque des souvenirs et vous met tout de suite dans une certaine ambiance. Je les utilise donc constamment désormais.»

‘Jeanne du Barry’ est sorti en salles.

Notre critique de «Jeanne du Barry»

De la fille du peuple à la courtisane préférée du roi Louis XV. La présence de la belle Jeanne Bécu — devenue par la suite Comtesse Jeanne du Barry — à la Cour de Versailles faisait scandale, du fait aussi qu’elle se souciait peu du protocole étouffant. Un bon sujet pour un drame en costumes frivole et romantique, s’est dit la cinéaste française Maïwenn. Et c’est certainement vrai. Or, elle a absolument voulu jouer elle-même le rôle principal et n’a tout simplement pas le rayonnement pour rendre cette histoire d’amour centrale crédible. Avec, en outre, très peu de conversations entre les deux personnages principaux, on se demande ce que Louis XV pouvait bien continuer à voir en Jeanne. Maïwenn doit l’avoir senti aussi, car elle tente de le compenser par un portrait si grotesque du reste de la Cour (à une exception près) qu’on ne peut faire autrement que de compatir avec Jeanne et Louis. Le charisme pur de Johnny Depp fait plus d’effet, mais même lui ne peut vraiment sauver ce drame superficiel. 2/5