Sur L’Adamant: «Pourquoi cache-t-on toujours les fous dans des endroits moches?»

Le réalisateur de documentaires français Nicolas Philibert cherche la vie fascinante là où il peut la trouver: dans une petite école à la campagne (‘Être et avoir’), auprès d’un orang-outang dans un zoo (‘Nénette’) ou dans une école d’infirmières (‘De chaque instant’). Dans son nouveau film ‘Sur L’Adamant’, pour lequel il a reçu l’Ours d’or à la Berlinale, il pose sa caméra au cœur d’un projet unique à Paris: un centre de jour flottant pour patients psychiatriques.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 4 min.

L’Adamant est un endroit inhabituel. Depuis combien de temps connaissez-vous ce centre de jour?

Nicolas Philibert: «J’en ai entendu parler avant même sa création. J’ai une grande amie qui est psychologue et psychanalyste. Il y a 15 ans, elle m’a raconté qu’elle allait aider à créer le centre de jour. Le projet est né d’une collaboration entre un bureau d’architecture, des soignants et des patients psychiatriques du centre de Paris. Pendant des mois, ils se sont concertés régulièrement pour réaliser cet endroit.»

Comment ont-ils eu l’idée de créer ce centre de jour sur la Seine?

«Il y avait à Paris un psychiatre qui vivait sur ce genre de péniche. Ils avaient déjà leur propre lieu, un bâtiment de trois étages, mais il était trop cher et trop petit. Ils ne faisaient que monter et descendre les escaliers. Un jour, ce psychiatre a dit ‘ça suffit. Pourquoi cache-t-on toujours les fous dans des endroits moches et inconfortables? Créons nous-mêmes quelque chose de beau.’ C’est ainsi que ça a commencé.»

À la fin des années 1990, vous avez déjà réalisé un documentaire sur le secteur psychiatrique, ‘La moindre des choses’, où des patients montaient une pièce de théâtre. D’où vient votre intérêt pour ce milieu?

«Le thème de la santé mentale m’interpelle depuis ma vingtaine, des idées des philosophes jusqu’aux histoires et romans. Même si je ne sais pas bien ce qu’il y a là derrière. C’est sans doute lié à des angoisses ou des préoccupations personnelles. En fait, je vais ailleurs à la découverte de moi-même. Pour moi, la psychiatrie est une bonne loupe pour observer l’humanité.»

Que voulez-vous dire?

«C’est un monde qui est parfois inquiétant, mais il peut vraiment aussi avoir un effet stimulant, vous apprendre des choses et élargir votre horizon. Les patients psychiatriques ont parfois un regard étonnamment clair et lucide sur la réalité. Ils peuvent être très radicaux. Ils vous poussent toujours à réfléchir et vous obligent à sortir de votre zone de confort.»

La santé mentale est-elle toujours un tabou aujourd’hui, selon vous?

«Je constate que les patients psychiatriques sont toujours invisibles aujourd’hui. En tant que société, nous ne voulons pas les voir. La seule manière dont nous leur accordons de l’attention, c’est en tant que danger potentiel. Souvent, cette peur est en outre complètement inventée. En France, mon pays, ces gens ne font l’actualité qu’en tant que sujet de l’un ou l’autre fait divers, quelque chose qui a mal tourné. Sinon, on ne les regarde pas.»

L’État n’aide pas?

«Non, l’État abandonne la psychiatrie à son sort. Nous ne voulons surtout pas y consacrer de l’argent. Car une personne schizophrène qui est incurable, c’est un investissement qui ne rapporte rien. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le secteur de la santé mentale en France est mal en point. L’État ne fait rien pour rendre attrayant le métier de soignant en psychiatrie. Ces gens sont totalement débordés et n’ont plus le temps de s’occuper convenablement des malades. Quelle est alors la solution? Enfermer les gens malades et leur administrer des calmants. Les soignants ne veulent pas être des gardiens de prison. Ils veulent aider ces gens. C’est pourquoi nous devons applaudir des initiatives comme ‘L’Adamant’. Là au moins, les patients reçoivent l’attention qu’ils méritent. Et cela leur fait vraiment du bien.»

‘Sur l’Adamant’ sort en salles aujourd’hui.

Notre critique de «Sur l’Adamant»:

Dans un joli coin de Paris, en face de la Gare d’Austerlitz, un bâtiment singulier flotte sur la Seine. Érigé en bois, il comporte deux étages et de grands volets qui s’ouvrent lorsque débutent les activités quotidiennes. C’est le ‘Centre de Jour l’Adamant’, un centre d’accueil psychiatrique où les gens circulent librement. Dans son documentaire ‘Sur l’Adamant’, le réalisateur français Nicolas Philibert (‘Être et avoir’) présente quelques-uns de ces patients, tout comme les soignants qui les encadrent. Le fait qu’il ne fasse aucune distinction entre les deux catégories en dit long sur l’immense empathie de Philibert. Il est à l’écoute de l’histoire de chacun (aussi bizarre soit-elle parfois), n’adopte jamais une attitude paternaliste et montre comment l’interaction fait du bien à tout le monde. ‘Sur l’Adamant’ repose, somme toute, sur des choses simples avec des gens simples, mais le résultat est absolument extraordinaire. Un Ours d’or mérité. 4/5