Maxime Chattam à propos de ‘La constance du prédateur’: «Notre société crée de plus en plus de tueurs en série»

C’est le retour de Ludivine Vancker. L’enquêtrice nous revient avec une nouvelle casquette: profiler au sein de la DSC. Avec «la Constance du prédateur», Maxime Chattam nous plonge dans la tête d’un serial killer.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 5 min.

Ludivine a rejoint l’équipe du DSC, celle des «profilers». Pourquoi explorer cette facette de l’enquête?

«J’avais l’impression d’avoir fait le tour des sections de recherche ‘classiques’. Entre-temps, j’ai rencontré des gens du département des Sciences du comportement en France. J’ai trouvé leur métier à la fois intriguant et fascinant. J’avais envie de m’immerger là-dedans. C’est ainsi que j’ai trouvé la nouvelle orientation de Ludivine. L’angle est intéressant, plus psychologique. S’intéresser à la psyché des criminels, c’était aussi le meilleur moyen de confronter mes personnages, et surtout Ludivine, à leur propre humanité.»

On est loin du cliché des profilers «à l’américaine»…

«Dans les séries américaines, les profilers mènent l’enquête en ‘entrant’ dans la tête des tueurs, presque avec des flashs de médiums. Dans la réalité, en France, ce n’est pas du tout ça. Les profilers apportent un soutien sur des enquêtes complexes. Ils fournissent une expertise, proposent des angles d’approche différents. Ils travaillent souvent sur des cold case. Une partie de leur travail, que l’on connaît moins mais qui est pourtant fascinante, c’est la préparation aux interrogatoires. Bien sûr, il y a le feeling et l’habitude des enquêteurs. Mais sur des dossiers compliqués, les profilers vont être au plus proche de la réalité de la personnalité du suspect. Ils vont proposer différentes stratégies pour conduire l’interrogatoire. Allant parfois jusqu’à changer le décor de la pièce! Ce sont toutes ces facettes, que l’on n’a pas l’habitude de voir, que je voulais montrer.»

Un charnier comme celui du roman, on se dit qu’on ne pourrait plus en voir aujourd’hui. Il fallait en faire un ‘cold case’ pour que ce soit réaliste?

«Aujourd’hui, les enquêteurs sont mieux formés pour détecter vite qu’un crime est exceptionnel. La police scientifique et technique est tellement plus performante aujourd’hui que l’on identifie plus rapidement qu’autrefois qu’un crime pourrait être un crime en série. Donc on arrête plus rapidement les coupables. On pourrait croire qu’il y a moins de tueurs en série qu’avant. Mais la vérité, c’est qu’on arrête, souvent dès le premier crime, des gens qui auraient pu être des tueurs en série. Un tueur en série, c’est quelqu’un qui tue minimum trois personnes, sans qu’il n’y ait de lien entre elles. Et ça, on en aura de moins en moins. Heureusement d’ailleurs! Mais les gens ont la fausse conviction qu’il y a moins de tueurs en série qu’avant. Et ça, ce n’est pas vrai. Je pense même qu’il y en aura de plus en plus. Mais qui ne feront qu’une victime.»

Pourquoi avez-vous cette conviction?

«La société aujourd’hui construit de plus en plus les prédispositions à la fabrication d’un tueur en série. Quand une société met de moins en moins de fric dans le social, dans l’éducation, dans la prévention… Une société qui part dans une certaine déliquescence morale de sens… Ça crée un terreau propice à la propagation de la violence intrafamiliale, aux abus, à tout ce qui engendre la déviance chez un enfant. La plupart des tueurs viennent de là. Il est rare que les tueurs en série aient une enfance normale, épanouissante, aux côtés de parents aimants. Et même, quand il n’y a pas eu de viol, d’inceste, de passage à tabac… On se rend compte qu’il y a eu une carence affective monstrueuse.»

C’est loin d’être votre premier thriller mais celui-ci est bien… corsé. Dur. Vous l’avez ressenti? Vous avez voulu aller plus loin?

«Ce n’est pas que je l’ai juste ressenti, je l’ai voulu comme ça. Je l’ai pensé pour ça. J’ai même dû me conditionner pour aller dans cette direction-là. Autrement, j’aurais régulièrement, consciemment et inconsciemment, baissé le curseur de la violence. Parce que c’est plus facile et plus agréable d’écrire un bouquin moins violent et moins dur! Mais ça ne marchait pas par rapport à ce que je voulais raconter. Pour que ça fasse sens, il fallait que j’aille loin. Que j’aille au bout des choses, que je sois sans concession. Si j’avais été un peu ‘tiède’, on aurait été loin de la vérité. Et toute la réflexion sur la société, sur l’être humain, le mal fait aux femmes… ça n’aurait pas fonctionné.»

L’origine, la fabrique du mal, c’est l’une de vos obsessions que l’on retrouve dans ce roman.

«Ce qui m’intéresse, dans le fait de se confronter à cette noirceur, c’est ce qu’elle raconte du monde dans lequel on vit. Dans mes romans précédents, je dis que le mal, c’est le hiatus qui existe entre ce que l’homme est réellement, biologiquement, et ce qu’il croit devoir être: un parangon de vertu. C’est dans ce hiatus-là que se niche le mal, qu’il va venir s’incarner. Une fois que j’ai établi ça, je passe à autre chose. D’où vient ce mal? Comment il se propage? Le point de départ de ce livre, c’est l’histoire d’un ADN que l’on retrouve sur un siècle. Et cette métaphore sur la transmission du mal, comme un virus que l’on propage. Qu’est-ce qu’elle raconte de notre société aujourd’hui? Surtout à l’ère post-covid, il y a des résonances intéressantes. Est-ce que l’homme propage son propre mal? Est-il lui-même l’instigateur de sa propre autodestruction? Toutes ces questions font que je continue, de livre en livre, à dresser le portrait du monde dans lequel je vis.»

QU’EST-CE QUE ÇA RACONTE ?

Ils l’ont surnommé Charon, le passeur des morts. De son mode opératoire, on ignore tout, sauf sa signature, singulière: une tête d’oiseau. Il n’a jamais été arrêté, jamais identifié, malgré le nombre considérable de victimes qu’il a laissées derrière lui. Jusqu’à ce que ses crimes resurgissent du passé, dans les profondeurs d’une mine abandonnée… Plongez avec Ludivine Vancker dans le Département des Sciences du Comportement, les profilers, jusque dans l’âme d’un monstre.

La Constance du prédateur, de Maxime Chattam, éditions Albin Michel, 448 pages, 22,90€

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