Des notes de la Sûreté sur une manipulation française et De Decker restées sans suite

Le service d'analyse de la Sûreté de l'Etat a produit quatre notes en 2012, 2014, 2015 et 2016 suggérant une ingérence et une manipulation française dans le dossier Kazakhgate ainsi qu'une implication de l'ex-président du Sénat Armand De Decker.
par
Laura
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Alors que le service d'étude de la Sûreté préconisait depuis 2012 d'alerter le premier ministre et le ministre de la Justice, ce n'est que fin 2015 que ce dernier est informé pour la première fois. Et ce n'est qu'en 2016 que la Sûreté écrira au Parquet de Bruxelles.

Un "parfum de partialité et de complicité"

Un rapport du comité R commandé par la commission d'enquête parlementaire pointe du doigt le rôle de l'ancien administrateur général Alain Winants, étiqueté Open Vld, qui sera auditionné ce mercredi. La Sûreté elle-même a relevé que ce dernier a traité personnellement cette affaire avec son homologue français en 2011, Bernard Squarcini, obtenant ensuite avec l'ex-conseiller de l'Elysée Jean-François Etienne des Rosaies, et en présence d'Armand De Decker, la Légion d'honneur.

Or, le vote de la loi de transaction pénale élargie et son application au trio kazakhe Chodiev et consorts intéressant l'Elysée venaient d'être scellés. Une note de la Sûreté de 2014 évoque un "parfum de partialité et de complicité" dans le chef d'Alain Winants.

 

Le rôle d'Armand De Decker est largement détaillé dans ces notes de la Sûreté. Le comité R a enquêté sur la fiche d'un certain Eric Van de Weghe qu'Armand De Decker aurait transmise en mars 2011 au secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant. Eric Van de Weghe est un homme d'affaires au lourd passé judiciaire, qui a traité avec le trio kazakhe Chodiev et consorts. Au sein de la Sûreté, qui a traité avec lui, on suspecte l'Elysée du président Sarkozy, intéressé en 2011 par un deal avec le Kazakhstan nécessitant la fin des ennuis judiciaires de Chodiev et consorts en Belgique, d'avoir diligenté une demande de renseignements sur Eric Van de Weghe afin d'avoir accès au dossier Chodiev.

La Sûreté belge a appris début avril 2011 d'un correspondant français qu'à l'instigation d'Armand De Decker, en visite à l'Elysée, le coordinateur national du renseignement de la présidence française avait prié les services de renseignement français (ex-DCRI, aujourd'hui DGSI) d'entrer en contact avec la Sûreté belge au sujet d'Eric Van de Weghe.

Ni mandat, ni compétence

Selon une analyse exhaustive mais non concluante du service juridique de la Sûreté, Armand De Decker n'avait ni mandat, ni compétence pour agir de la sorte, son action étant en outre incompatible avec son statut d'avocat de Chodiev. L'ex-président du Sénat venait de retrouver sa toge en juillet 2010, la Sûreté pensant cependant que la plus-value de l'éminence MR devait être trouvée ailleurs que dans le champ juridique. Ces informations juridiques ont été transmises en 2016 au Parquet de Bruxelles.

Enfin, élément intéressant relaté dans le rapport du comité R, Armand De Decker a sollicité la Sûreté en mars 2011 pour actionner une méthode particulière de recherche à la suite de la perte ou du vol de son GSM lors d'une de ses visites à Paris. L'"ingérence" avait été retenue comme moyen justifiant le déploiement d'une telle méthode qui ne fut cependant jamais appliquée après le refus de la commission de contrôle. Le service d'analyse estime que, dans le dossier kazakhe, la Sûreté a pu se faire manipuler par son homologue française, par l'Elysée ou par Armand De Decker lui-même.

Etouffer l'affaire

En septembre 2015, a eu lieu une restructuration de la Sûreté qui a conduit à clore le dossier kazakhe, un inspecteur étant dès lors muté. Des membres de la Sûreté s'en sont plaints, certains y voyant la volonté de représentants du MR, et notamment de personnalités proches du ministre des Affaires étrangères Didier Reynders d'étouffer l'affaire.

Le comité R a enquêté sur une série de plaintes qui ont été déposées. Il a notamment constaté l'intérêt particulier de la hiérarchie pour un de ses inspecteurs dont les sources jugées auparavant valables ont été radiées car ne correspondant plus aux nouveaux objectifs et dont le travail a été apprécié de manière différente.

Le comité R s'est étonné que des réunions relatives aux conflits constatés n'ont pas été suivies de la rédaction de procès-verbaux et que la direction n'ait pas tiré de conclusions après des accusations parfois très graves. Mais en conclusion, le Comité R n'a pas trouvé d'éléments autres qu'un conflit interpersonnel entre deux membres de la Sûreté.