L’affaire Depp vs Heard a-t-elle signé l’arrêt de mort de MeToo?

Beaucoup ont considéré le procès opposant Johnny Depp à Amber Heard comme un tournant dans le mouvement MeToo, voire l’événement qui a signé son arrêt de mort. Qu’en est-il?

par
Oriane Renette
Temps de lecture 3 min.

En juin dernier, la saga judiciaire opposant Amber Heard à son ex-mari Johnny Depp, qu’elle accusait de violences conjugales, prenait fin. À l’issue de six semaines de débats, les jurés ont conclu que les ex-époux s’étaient mutuellement diffamés. Mais ils ont octroyé plus de 10 millions de dollars à Johnny Depp, contre 2 millions seulement pour Amber Heard. Que dit ce procès, ultra-médiatisé, du mouvement MeToo et de son avenir?

«C’était la mauvaise victime»

«Il s’agit d’un procès en diffamation contre quelqu’un qui a écrit une tribune sur les violences intrafamiliales», recontextualise Rose Lamy, directrice de l’ouvrage collectif «Moi aussi: MeToo, au-delà du hashtag». «Or, Amber Heard n’apparaissait pas comme la bonne victime. Elle n’est pas forcément sympathique, elle n’a pas une carrière aussi florissante que celui qu’elle attaque. Elle est bisexuelle. Elle consomme des drogues et de l’alcool. Probablement, elle a participé à une violence réciproque. Cela dit, on n’a aucun jugement dans ce sens-là. Contrairement à Johnny Depp qui a été jugé en Angleterre pour 14 faits de violences corroborés (et pour lesquels il n’a pas pu faire appel). Au pire donc, il s’agissait de violences réciproques. Mais Amber Heard a été traînée dans la boue. Elle a été attaquée de toutes parts», retrace l’autrice.

«Il y a eu une inversion totale du récit, des personnages, où lui devenait la victime dont on avait brisé la carrière et qui avait tout perdu», analyse-t-elle. «Or, il faut voir ce qui est en jeu. Elle a osé, sans avoir le profil parfait, s’attaquer à la figure sacrée de l’artiste. La sanction fut radicale.»

«On a loupé le coche»

«Amber Heard, c’est la mauvaise victime. Celle dont on fait l’exemple pour donner à toutes les autres la peur de dénoncer», résume Rose Lamy. «C’est ce qui me désole le plus, car il y a tellement de personnes imparfaites! Et les violences intrafamiliales, ce n’est pas que le vieux bonhomme de Zola, sur fond d’alcoolisme, qui cogne sa femme. Ce sont aussi des relations d’emprise, des relations toxiques au possible, où parfois la personne répond. Avec cette affaire, on a loupé le coche d’en faire la démonstration. Le camp adverse a repris un peu de terrain par rapport à tout ce qu’on fait depuis cinq ans, voire plus, avec MeToo. Ce procès avait un enjeu mondial. À côté duquel, collectivement, on est passés.»