Pourquoi faut-il bannir l’expression «pas de souci»?

L’expression «pas de souci» est ancrée dans le langage courant depuis quelques années déjà. Et ce tic de langage a le don d’agacer certains. Voici pourquoi il faut arrêter de l’utiliser.

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par
Marie Bruyaux
Temps de lecture 4 min.

On l’entend tous au moins une fois sur la journée: l’expression «pas de souci» s’est bien incrustée dans notre langage ces dernières années. «Votre café, avec du lait ou du sucre? Du lait. Pas de souci!», «Vous payez par carte? Oui. Pas de souci!» Il y a ceux qui l’utilisent tous les jours sans s’en rendre compte et ceux que ça agace. Il y a même ceux qui l’utilisent, que ça agace, mais qui ne peuvent pas s’en empêcher (je fais partie de ceux-là).

Ce qui pose problème

Vous connaissez le spectacle ‘Je parle toute seule’ de Blanche Gardin? L’humoriste y flingue l’utilisation du ‘pas de souci’ avec l’humour qu’on lui connaît: «un cocktail parfait de parano mégalo», selon elle. «On l’utilise pour tout: ‘J’aurai cinq minutes de retard – Pas de souci.’ (…)Pourquoi tu sous-entends qu’il y aurait un souci? Pourquoi ce besoin d’annoncer que ton ego ne va pas se dissoudre dans l’acide après cet affront qu’il vient de vivre?»

Cette remarque illustre parfaitement ce qui pose problème dans l’utilisation de cette expression, devenue un fourre-tout. Elle est vidée de son sens car utilisée dans n’importe quelle situation. Elle devient le synonyme de «d’accord», «de rien», «pas de quoi» ou encore «avec plaisir». Cette tournure est souvent utilisée dans des conversations sans réelle gravité. Mais lorsque notre médecin nous annonce que l’on va devoir se faire opérer, on ne lui répond pas: «pas de souci»!

Pire, en affirmant qu’il n’y a ‘pas de souci’, on sous-entend l’idée qu’il pourrait y en avoir un. L’expression remplace souvent un «pas de problème» ou un «t’inquiète» qui induisait déjà un sentiment négatif et qui, lui aussi, n’était la plupart du temps pas adapté à la situation.

Ce que ça dit de nous

L’expression «révèle en filigrane une société explosive, travaillée par des sujets inflammables et des conflits potentiels que la plupart d’entre nous tentent, tant bien que mal, de désamorcer», analyse la linguiste Julie Neveux dans les colonnes du Figaro. Guerre en Ukraine, inflation, dérèglement climatique: c’est vrai que les mauvaises nouvelles sont nombreuses mais ce n’est pas une raison pour en rajouter!

En plus de remettre une couche à la morosité ambiante, l’expression ‘pas de souci’ est aussi faussement déculpabilisante. A-t-on réellement besoin de se présenter en sauveur devant son interlocuteur? De lui enlever une si lourde charge en lui promettant que cela ne nous inquiète guère?

Mais pourquoi s’acharne-t-on à utiliser cette expression? Peut-être parce que cela nous permet simplement de ne pas devoir réfléchir à ce que l’on va dire. Le «pas de souci» permet de réagir à n’importe quelle situation sans qu’on ait besoin d’adapter sa réponse. Si cela traduit de nous un manque d’effort, voire de sincérité, l’expression marque aussi une volonté de politesse nécessaire à tous rapports humains.

Ce qu’il faudrait répondre

Le mot «souci» était déjà utilisé au 13e siècle sous la forme «soussi» qui se définissait comme suit: «inquiétude, angoisse que causent les dangers, les difficultés». Il est issu du latin «sollicitare» qui signifie «tourmenter, préoccuper». L’Académie française considère que l’emploi du substantif «souci» est erroné dans cette tournure, où il est «pris à tort pour ‘difficulté’, ‘objection’». Les Académiciens estiment qu’on n’entend «trop» souvent «pas de souci» pour «marquer l’adhésion ou le consentement à ce qui est proposé ou demandé». À la place, ils suggèrent de répondre «simplement» oui, ou selon les cas «Cela ne pose pas de difficulté» ou encore «Ne vous inquiétez pas», «Rassurez-vous».

Les conseils de l’Académie française nous paraissent difficiles à suivre (on se voit mal répondre ce genre de phrase en situation réelle). Le plus important est sans doute de prendre le temps de réfléchir avant de répondre et d’essayer de trouver une expression plus adaptée à la situation. Et si vous n’en trouvez pas, ne vous faites pas de souci, un autre tic de langage viendra sans doute bientôt la remplacer!

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