Al Pacino: "Je ne peux pas m'arrêter de jouer"

par
Laura
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Dans «Danny Collins», Al Pacino joue une rock star d'âge mûr. En réalité, c'est aussi à cela qu'il ressemble en vrai, lorsque nous le rencontrons au Festival de Venise: lunettes de soleil sur le nez, chaînes autour du cou, grosses bagues à chaque doigt et cheveux teints noir de jais – jusqu'à la barbe en collier. Seules les repousses grises trahissent l'âge de l'acteur légendaire de «Scarface» et du «Parrain» n'est plus tout jeune. Pacino a eu 75 ans récemment, mais a toujours du plaisir à travailler. «Envie», est le mot qu'il ne cesse de marteler tout au long d'une conversation à cœur ouvert sur sa vie, sa carrière et sa famille.

Al Pacino, Danny Collins est un chanteur fatigué qui en a marre de ses propres chansons. N'en avez-vous jamais eu assez de jouer la comédie durant toutes ces années?

«Jamais. Comme tout le monde, il m'est arrivé d'avoir des périodes où l'envie était un peu moindre, mais il y avait toujours l'un ou l'autre projet qui se présentait qui me ranimait. Jouer est devenu, après toutes ces années, une partie de ma nature. Je ne pourrais plus faire sans, je ne peux pas arrêter.»

Ces derniers temps, vous incarnez pourtant régulièrement des artistes qui n'ont plus cette envie. Dans «The Humbling» par exemple, vous jouiez un célèbre comédien de théâtre qui ne voulait plus monter sur les planches.

«Oui, je suis dans une phase de ma vie où je recherche moi-même, très consciemment, cette envie. Quand vous perdez l'appétit, il vaut mieux arrêter. Faire des films n'est pas facile, et si votre enthousiasme disparaît, cela devient juste fatigant et rien d'autre. Dans le temps, il m'est arrivé sur certains plateaux de me demander: «Bon Dieu, mais qu'est-ce que je fais ici?». C'était en général à des moments dans ma vie où je n'allais pas trop bien: j'acceptais alors parfois des rôles pour quand même sentir quelque chose. Maintenant je n'ai plus le temps pour ça. Je ne veux plus faire que des choses qui me donnent vraiment envie, qui me mettent en appétit.»

Vous avez une fille de 25 ans et des jumeaux de 14. Vous aident-ils aussi à rester jeune?

«Bien sûr! C'est toujours un sentiment formidable de rentrer à la maison. Quand j'ouvre la porte, je sens un énorme soulagement. Car, dès que je suis avec mes enfants, tout ne tourne plus autour de moi tout d'un coup. Cela fait du bien, quand vous revenez d'un plateau de tournage ou d'un festival, où vous êtes tout le temps sous le feu des projecteurs.»

Vos jumeaux ont-ils déjà vu vos films les plus connus?

«Non, mais mon fils commence tout de même à me demander: Papa, qu'est-ce que c'est que ce ‘Scarface' dont parlent tous mes amis?(rires) Mais je lui réponds alors: Mon fils, je pense qu'il est encore trop tôt pour voir papa à l'œuvre dans ce film. Bien que je trouve très difficile d'évaluer ce que les enfants savent ou ne savent pas à cet âge-là.»

«Scarface» est-il le film dont on vous parle encore le plus souvent?

«Je remarque que le film a toujours beaucoup de fans, oui. Mais quand il est sorti, nous n'avions en fait jamais imaginé qu'il serait aussi populaire. L'approche de Brian De Palma était tout de même assez particulière. Le fait que ‘Scarface' soit devenu un classique, était donc une agréable surprise.»

Tony Montana est toujours aussi le héros de très nombreux criminels et mafiosi d'aujourd'hui.

«Oui… Je trouve cela surtout très dingue, car je ne pense pas que ‘Scarface' glorifie la vie de gangster. J'ai reçu un jour une lettre d'une mère inquiète: son fils était fan de Tony Montana. J'ai à mon tour écrit une lettre à ce garçon pour lui dire qu'il avait mal compris le film. Ce n'est pas parce que nous montrons un certain style de vie, que nous l'approuvons aussi. Je lui ai expliqué qu'il devait surtout s'inspirer du dévouement avec lequel le film avait été fait. Et non pas de ce qu'on pouvait voir dans le film.»

Dans la première phase de votre carrière, vous aviez beaucoup de mal à gérer votre statut de star. Pendant des dizaines d'années, vous n'avez quasiment pas donné d'interviews. Maintenant, vous semblez plus à l'aise avec ça?

«Oui. Avant, je ne comprenais pas l'adoration. J'essayais d'éviter le plus possible tout le cirque qui accompagne la célébrité. Je ne faisais en effet presque jamais d'interviews. C'était irréfléchi, quand on y pense a posteriori. Ce temps-là est révolu. Non pas que j'apprécie tout d'un coup mon statut aujourd'hui, mais je peux mieux le comprendre. Récemment, un collègue acteur m'a qualifié de ‘dieu' à une conférence de presse. Je ne prends pas cela au pied de la lettre, bien entendu, mais j'ai tout de même appris à l'accepter. Je comprends maintenant que c'est une expression d'enthousiasme. Et il faut beaucoup de courage pour dire ce genre de choses.»

Vous parliez tout à l'heure d'envie: quel genre de rôle aimeriez-vous vraiment encore jouer dans votre vie?

«Je veux absolument jouer Napoléon un jour. Il y en a beaucoup qui ont essayé d'écrire un scénario sur Napoléon: le grand Patrice Chéreau, Kubrick… Mais j'aimerais beaucoup faire quelque chose sur les derniers jours de Napoléon à Sainte-Hélène. Il y a une formidable histoire là-dedans. J'ai rencontré récemment quelqu'un qui en a fait un scénario magnifique, écrit tout spécialement pour moi. C'est censé devenir une série télé. Si nous parvenons à trouver le financement nécessaire, alors ce rôle aura la priorité sur tous les autres projets.»

La télévision est-elle le nouveau cinéma? Aujourd'hui, de plus en plus de réalisateurs et acteurs renommés travaillent aussi pour le petit écran.

«Il se passe des choses particulièrement intéressantes à la télévision, et ça, c'est vraiment bien. Mais il faut qu'on le dise: regarder la télé et aller au cinéma, ce sont des expériences totalement différentes. Quand vous êtes à la maison, vous pouvez faire une pause. Aller chercher une tasse de café. Vous n'êtes pas immergé de la même manière. J'aime en outre aussi l'expérience collective que l'on a au cinéma. Rire ensemble, pleurer ensemble, discuter un peu par la suite. J'espère que cela ne disparaîtra pas tout à fait.»

Vous venez d'avoir 75 ans. Vous arrive-t-il de penser à la fin?

«Il y a des tas de choses sur lesquelles je me casse la tête, mais la mort n'en fait pas partie. Enfin, qui sait, peut-être que demain je me mettrai tout à coup à me torturer l'esprit avec ça! (rires)»