Amin Maalouf : L'histoire d'un fauteuil… et de la France

par
Maite
Temps de lecture 5 min.

Quel que soit le sujet abordé, lire un livre d'Amin Maalouf est, de notre point de vue, toujours un moment très agréable et enrichissant. Dans «Un fauteuil sur la Seine», l'écrivain nous transporte dans l'histoire de la France, à travers quatre siècles.

Habituellement, vous nous faites voyager en Orient. Aujourd'hui, c'est un livre bien ancré en France que vous nous proposez. Un livre qui retrace même son histoire à travers les siècles.

«C'est un livre qui parle des quatre derniers siècles en France, à travers 18 personnages. Mais pas uniquement en France parce qu'il y a aussi, dans mon livre, des personnages qui se sont intéressés à d'autres régions du monde. Je pense notamment à Renan qui a été l'initiateur des fouilles au Liban ou à Lévi-Strauss qui a commencé sa carrière d'anthropologue au Brésil. Mais il est vrai que mon livre raconte l'histoire des quatre derniers siècles de la France à partir d'un fauteuil.»

Dans votre avant-propos, vous expliquez que ce livre est né d'un remords.

«Cette idée m'est venue peu de temps après mon élection à l'Académie française. La tradition veut qu'au moment de sa réception, on fasse l'éloge de son prédécesseur. Pendant que je travaillais sur cet éloge, j'ai découvert d'autres personnages qui avaient occupé également le 29e fauteuil et j'ai eu envie de parler d'eux. Mais celui qui m'a donné envie d'écrire ce livre est Joseph Michaud. Le sujet de mon tout premier livre était les croisades. Lorsque j'ai commencé à le préparer, j'ai trouvé un ouvrage utile et précieux: celui de Michaud. Je ne connaissais pas du tout cet historien du début du 19e siècle, aujourd'hui oublié. Il avait consacré l'essentiel de sa vie à l'étude des croisades.»

Vous êtes monté sur le fauteuil de l'Académie en 2011. Vous a-t-il fallu toutes ces années pour écrire cet essai très documenté?

«Vous avez raison de dire que ce livre a demandé beaucoup de recherches. J'ai passé l'essentiel de ces deux dernières années à les effectuer. C'était passionnant. Je découvrais constamment de nouvelles choses et j'allais de surprise en surprise. Par exemple, j'ai découvert pour Michaud, que je croyais être un grand historien spécialiste des croisades, qu'il était en réalité un grand aventurier qui a été onze fois en prison et deux fois condamné à mort. Une des prisons où il a été enfermé est le collège des Quatre-Nations qui allait devenir le siège de l'Académie française. Chacun des personnages m'a, en fait, apporté des plaisirs de chercheurs.»

N'était-il pas plus facile d'écrire sur l'un ou l'autre personnage? Certains d'entre eux étant oubliés aujourd'hui.

«Vous avez raison de dire qu'il a fallu plus fouiller pour certains personnages. Mais en même temps, ce n'est pas plus facile d'écrire sur les personnages connus que sur ceux inconnus. Un personnage inconnu, une fois que l'on a rassemblé les éléments que l'on a sur lui, nous pouvons raconter son histoire. Quelqu'un qui est extrêmement connu et à qui on a déjà consacré de nombreux ouvrages, c'est plus compliqué de ne lui consacrer que 20 pages. J'aurais pu écrire 150 pages sur Montherlant sans aucun problème. Mais j'avais décidé que je ne consacrerai que 20 pages par personnage. Cette contrainte m'a obligé à me concentrer sur des angles particuliers.»

Et à être strict avec soi-même.

«Absolument. Et ne pas céder à la tentation de consacrer quatre pages à quelqu'un que l'on trouve moins intéressant. L'idée même de ce livre est de raconter les personnages. J'avais donc une obligation d'équilibre entre eux.»

Vous parlez de plusieurs personnages plus connus mais qui ne sont pas montés sur votre fauteuil, comme Corneille ou Voltaire par exemple.

«Ces personnages ont eu un lien avec ce fauteuil. Corneille, Voltaire et Victor Hugo ont été tous les trois candidats à ce fauteuil. Le fait qu'ils n'ont pas été élus directement est très significatif de l'époque. Le fait que Corneille a été écarté alors qu'il était indéniablement le plus grand écrivain du moment est significatif des rapports qu'entretenaient l'Académie et le pouvoir -représenté à cette époque par Richelieu. L'exemple de Voltaire montre un pouvoir royal méfiant vis-à-vis des philosophes des Lumières. En ce qui concerne Victor Hugo, un savant a été élu à sa place. Cela montre bien que le 19e siècle a vu la montée des savants. L'histoire de l'Académie reflète en réalité l'évolution du monde.»

Selon vous, qu'est-ce qu'un grand écrivain?

«Je ne me permettrais pas de dire ce qu'est un grand écrivain aujourd'hui. Mais ce qui est certain, c'est que quelqu'un qui continue à être lu longtemps après, quelqu'un dont l'œuvre survit dans la durée est un grand écrivain. Personne ne peut contester que Cervantes, Shakespeare, Racine, Molière, Corneille… sont des grands écrivains. Dès que l'on s'approche de notre temps, c'est plus difficile à dire. Par exemple, lorsque j'étais plus jeune Sartre apparaissait comme étant un grand écrivain. Aujourd'hui pourtant, plus personne ne le considère comme un immense écrivain. Mais peut-être que dans 20 ou 30 ans, on trouvera qu'il en était un et qu'il a juste connu un petit passage à vide… Je pense qu'un grand écrivain est quelqu'un qui a écrit une grande œuvre, même avec un seul livre. Une grande œuvre est liée à la durée et à son extension universelle. Un grand écrivain doit pouvoir traverser les siècles et les frontières, et avoir un retentissement universel.»

En quelques lignes

En juin 2011, Amin Maalouf monte sur le 29e fauteuil de l'Académie française. Lors de la réception, il est de tradition de faire l'éloge de son prédécesseur. Alors qu'il effectue des recherches sur Lévi-Strauss, 18e personnalité à être montée sur ce fauteuil, l'écrivain franco-libanais se rend compte que la 10e personne à être également montée sur le fauteuil n'est autre que l'écrivain qui lui a permis d'écrire son tout premier livre: Joseph Michaud. Amin Maalouf se promet donc d'en faire l'éloge, et de faire de même avec toutes les personnalités avec qui il a partagé le fauteuil. Le résultat n'est autre qu'un livre très intéressant et extrêmement documenté qui retrace, à travers le récit des 18 personnalités de ce prestigieux fauteuil, l'histoire de l'Académie et de la France tout entière. Une fois de plus, Amin Maalouf signe un grand livre, qui nous fait découvrir les métamorphoses de toute une société, et ce grâce uniquement au récit d'un fauteuil. (mh)

«Un fauteuil sur la Seine, quatre siècles d'histoire de France», d'Amin Maalouf, éd. Grasset, 336 pages, 20 € 5/5

Ph/ J.F. Pagga / Grasset