Bruno Pieters, la mode qui a du coeur

par
Pierre
Temps de lecture 6 min.

Anvers va déborder de talents cet été. Sous l'appellation 'Born in Antwerp', la Ville organise plusieurs événements mettant en vedette artistes, musiciens, écrivains et autres créatifs. Le secteur de la mode n'est pas en reste avec quelques initiatives remarquables. C'est ainsi qu'avec son expo '(Behind) the Clothes' Bruno Pieters effiloche la mode anversoise et partage son mode de travail durable et transparent avec le grand public.

Vous êtes né et avez grandi à Bruges, mais vous avez étudié la mode à Anvers. Comment Anvers a-t-elle changé votre vie?

«?Ce n'est pas la ville qui m'a changé. Mais les amitiés que j'ai nouées ici. Je suis d'ailleurs encore toujours ami avec les personnes qui ont été diplômées en même temps que moi. C'était une très chouette période.

En quoi consiste votre expo (Behind) the Clothes?

«?L'exposition se compose de deux volets, The Clothes et Behind the Clothes. J'ai tiré le portrait dans notre studio de 43 personnes qui travaillent dans l'industrie de la mode: producteurs cultivateurs de lin belges, tisseurs de lin, patronniers, designers, photographes, mannequins, etc. Tout le monde est habillé de blanc, car je voulais que l'attention soit attirée sur les personnes, pas sur leurs vêtements. Cela s'est traduit par un portrait tout en sérénité de 50 mètres de long.?»

Mais vous exposez aussi des vêtements?

«?Oui, la première partie est subdivisée en trois chapitres, avec par exemple un hommage à la créatrice britannique Katharine Hamnett, une de mes héroïnes dans le monde de la mode.?»

Racontez-nous.

«?Elle a été une des premières à utiliser la mode pour communiquer ce qu'elle pense de l'environnement par le biais de slogans imprimés sur des T-shirts. Je trouve qu'elle est sous-estimée. Nous avons créé des vêtements avec nos slogans et sa typographie.?»

Vous présentez aussi votre propre collection Honest By?

«?Effectivement, sous l'appellation Transparency je présente cinq créations de mon label Honest By avec toutes les informations sur les matières utilisées, les processus de production mis en œuvre, le calcul du prix de vente et même le bénéfice. Dans Re-made, la troisième partie, nous avons réédité certaines de mes anciennes créations de 2001 à 2009 dans des matières durables et éthiques. Cela peut vous paraître une utopie, mais la plupart des fabricants de tissus sont prêts à le faire.?»

Comment se fait-il que l'industrie de la mode soit aussi à la traîne en matière de durabilité?

«?Le design des vêtements change tous les deux ou trois mois, mais pas la façon dont ils sont fabriqués. C'est la même chose depuis des décennies. Je pense qu'en tant que créateurs nous avons souvent l'impression de ce fait d'être très novateurs. Mais cette innovation ne va généralement pas beaucoup plus loin que le volume et la couleur. Pour l'instant, c'est une minorité qui réfléchit à la façon dont nous fabriquons les vêtements. On vous critique beaucoup et de temps en temps on vous exclut, mais si vous réagissez, vous vous découragez. Bref, moi j'ai décidé de les ignorer.

Sentiez-vous depuis longtemps déjà qu'on ne pouvait plus continuer de faire la mode de façon classique?

«?Oui. Je pense que quelque part tout le monde en est conscient. Mais il n'est pas difficile d'étouffer cette réalité avec des excuses ou de créer des histoires qui justifient notre mode de vie. Dans mon cas, il est quand même arrivé un moment où je me devais d'être honnête avec moi-même. Et on y parvient quand les excuses ne marchent plus et entravent votre bonheur.?»

Qu'est-ce qui a provoqué cette brusque reconversion dans les matières durables?

«?Cela a plutôt été une évolution. En 2009, j'avais atteint ce que je voulais atteindre sur le plan de ma carrière, mais cela ne m'apportait aucune satisfaction. Cette prise de conscience a été un moment important. J'en avais assez de rechercher la reconnaissance et le succès financier. C'était une chose qui jusque-là ne m'avait pas rendu heureux et je savais que je devais choisir une autre voie.?»

Vous créez avec Honest By une ligne complètement transparente. Cette ligne a-t-elle aussi été bénéfique pour votre santé et votre bien-être personnels?

«?Oui, je suis bien plus fier de la façon dont je travaille maintenant. Et si vous êtes fier de vous, c'est aussi plus facile de vous aimer vous-même. Et si vous vous aimez, c'est aussi plus facile d'aimer les autres, ou de pardonner. Comment vous travaillez et qui vous êtes sont indissociables pour moi.

La technologie et la mode vont de pair. Quels développements suivez-vous actuellement de près?

«?Je trouve très intéressantes les entreprises qui commercialisent des alternatives écologiques et esthétiques au cuir. Le commerce des animaux tel qu'il est organisé actuellement doit disparaître. Chaque être sur cette planète a une fonction, je ne pense pas que nous sommes sur terre pour utiliser ou abuser des autres. Être un Homme est à mes yeux quelque chose de totalement différent.?»

Dans quelle mesure avez-vous vous aussi adopté un mode de vie plus durable?

«?Si vous voulez changer les choses, vous devez commencer par vous-même. Donc aussi votre mode de vie ou votre vie privée. Je m'y emploie depuis 2010. J'essaie de trouver une alternative à tout ce que j'achète. Cela a parfois été une véritable quête, qui va du papier W.-C. au fournisseur d'énergie.?»

Et vous êtes devenu végétalien?

«?Et je mange végétal en effet. Mon plat préféré? J'aime tout sauf les chicons.

Et, en tant que végétalien, vous avez de bonnes adresses à Anvers?

«?Je vais souvent chez Eten vol leven, un vegan raw food restaurant sur la Minderbroedersrui. Le midi, vous avez aussi Carotterie 2000, un vegan lunchbar. Le soir, vous pouvez aller chez Bites & Wines et les restaurants japonais proposent toujours un plat végétalien.?»

Depuis votre nouvelle approche avez-vous une image différente de l'histoire de la mode?

«?Non. Je pense qu'avant on n'avait vraiment pas conscience de ce qu'on faisait. À ce propos, il y a une belle citation de l'auteur américaine Maya Angelou: «When you know better, you do better». Aujourd'hui, nous avons l'information et nous pouvons faire mieux, donc il est grand temps de changer!

Comment voyez-vous l'avenir de l'industrie de la mode?

«?C'est le client qui en décidera. Ce que je fais avec Honest By est une proposition. La mode est une industrie. L'industrie tourne autour des chiffres. C'est le client qui forme les chiffres. Et c'est donc aussi le client qui va déterminer l'avenir de l'industrie. En tant que fan de la mode, vous êtes dans une position incroyablement privilégiée. C'est pourquoi il est tellement important de savoir ce que vous achetez de façon à savoir quel avenir vous êtes en train de construire.

Avez-vous aussi rectifié votre définition du luxe depuis Honest By?

«?Être en vie est un luxe. Ce n'est pas une chose évidente pour moi. C'est une chose incroyablement unique. Toute forme de vie est rare. Cette prise de conscience est pour moi un luxe, aujourd'hui et demain.

Qu'est-ce qui vous donne aujourd'hui le plus de satisfaction par rapport à vos créations?

«?Quand je vois une personne qui les porte. Cela me fait encore toujours quelque chose.

Qui est Bruno Pieters?

Bruno Pieters (1975) a été diplômé de l'Académie de la mode d'Anvers en 1999. Après avoir travaillé chez Margiela et Christian Lacroix, il se fait connaître à partir de 2001 avec ses propres créations avant-gardistes et architecturales. Il est nommé en 2005 directeur créatif chez Delvaux et en 2007 il imprime sa marque sur la ligne avant-gardiste Hugo de Hugo Boss. Mais, en 2010, il prend ses distances avec le grand cirque de la mode pour réfléchir à son avenir. Avec la fondation de Honest By en 2012, il opte résolument pour la durabilité ou, mieux, la mode qui a du cœur pour les animaux, l'Homme et l'environnement.