"Derrière la grille": Maude Julien explique comment elle a réussi à échapper à son bourreau

Maude Julien est une thérapeute reconnue et spécialisée dans les traumatismes et l'aide contre toutes les formes d'emprise. Dans son livre «Derrière la grille», un manuel de survie comme elle le nomme, elle nous raconte sa propre histoire. Elle explique comment, alors qu'elle n'était qu'une enfant et une adolescente, elle a pu se défaire des griffes de son père. Un père qui, à coups de torture, voulait faire d'elle un être supérieur.
Dans ce livre, vous nous livrez votre enfance. Comment avez-vous vécu l'écriture de ce livre?
«Je suis dans un moment de ma vie où je vais bien. Je demande à mes patientes de témoigner alors que moi-même je ne l'ai pas fait. L'écriture de ce livre va avec le but du livre. L'objectif est de donner un message d'espoir pour les personnes qui vivent une emprise. Ce qui m'a beaucoup accompagné dans l'écriture est la notion de ce que je voulais apporter aux autres. Nous appelons souvent ce meurtre psychique le crime parfait' parce qu'on ne le dénonce pas. Mais il faut le dénoncer pour que d'autres osent également le faire.»
Comment personnellement êtes-vous arrivée à vous libérer de l'emprise de votre père?
«Ça a été un très long travail. L'emprise est, avant tout, psychologique. Partir de la maison, c'était déjà compliqué. Mais au point de vue psychologique, c'était encore une autre paire de manches. Il m'a fallu plus de dix ans pour arriver à sortir des conséquences de l'enfermement. J'étais devenue quelqu'un de phobique, qui avait des crises de mutisme, de panique. Aujourd'hui, je ne peux pas affirmer que je n'aurai plus de crise mais, comme je dis toujours, j'ai ma caisse à outils. Après avoir fait tout ce travail pour sortir de cet ancien conditionnement, j'ai suivi des études pour être thérapeute.»
Vous êtes donc devenue «le chirurgien de la tête» comme vous le disiez quand vous étiez petite.
«Je pense que chez tout enfant, il doit y avoir cette notion de vouloir sauver. Je pensais que le plus beau métier du monde, c'était de réparer. À l'époque, je n'étais pas du tout consciente que mes parents n'étaient pas normaux. Plus tard, j'ai eu l'impression que je l'avais échappé belle, que je pouvais passer de l'autre côté. Je suis une passeuse, ce qui m'a amené à être thérapeute. Si j'avais été une justicière, je pense que je serais aujourd'hui avocate. Par ailleurs, la terreur, je la connais. J'ai réussi à passer, à y échapper. Je voulais donc aider les autres à passer aussi. Grâce' à mon histoire, je peux témoigner qu'il ne faut pas rester emprisonné. Les gens restent longtemps sous emprise car l'ogre vous a couvert de honte. Depuis que j'ai sorti ce livre, je reçois des témoignages de personnes qui me disent que grâce à ce manuel de survie, elles arrivent à se regarder dans un miroir. Et je comprends vraiment ce qu'elles veulent dire.»
Ce qui paraît étonnant à quelqu'un qui n'a pas vécu votre histoire, c'est que vous êtes souvent retournée voir votre père après votre départ.
«C'est là le piège de l'emprise. Vous ne pouvez pas faire autrement que d'y aller. C'est comme une chaîne qui vous ramène. Vous êtes mal quand vous y êtes: tous mes malaises ont commencé à ce moment-là. Je ne voulais pas y aller mais je ne pouvais pas faire autrement. J'étais piégée. Il ne faut pas oublier que mon père pensait me remettre à mes 21 ans ma mission ultime. Toute cette année-là, j'étais en attente. J'ai poussé un ouf' quand mes 22 ans sont arrivés mais un mois plus tard, il est mort. Alors, je vous laisse imaginer tout ce qui s'est passé dans ma tête en ce moment-là.»
Votre livre apporte une touche d'espoir, notamment lorsque l'on voit qu'un enfant, même dans une situation aussi extrême, arrive à trouver le bonheur.
«Comme je dis souvent, la vie passe partout. Mes parents avaient peur que les oiseaux migrateurs donnent envie aux canards de s'envoler. Moi, ça me montrait qu'il existait autre chose hors des grilles. Parfois, les grilles sont dans la tête. Il arrive qu'on ouvre la porte à des personnes emprisonnées et qu'elles ne sortent pas. Il ne faut pas les juger mais les comprendre et voir comment on peut les amener à sortir. C'est mon grand combat sur les sectes.»
Comment arrivez-vous à aider les autres en tant que thérapeute?
«Il faut savoir que les personnes qui sont sous emprise ne vont pas chez le thérapeute. Elles viennent en cachette. Je les retrouve parfois dans un café. Je travaille essentiellement sur ce que je nomme la désobéissance muette. Grâce à ça, vous mettez des failles dans le système. Il faut rentrer dans le système pour qu'elles osent petit à petit se rebeller et surtout, en parler autour d'elles. C'est pourquoi je dis toujours que ce manuel d'évasion qui doit être porteur d'espoir montre comment une petite fille de 8 ans a été capable de mettre en uvre des petites choses pour fausser la compagnie à l'ogre. Je suis convaincue, comme dans mon cas, qu'il arrive toujours une rencontre, un élément qui se présente. Mais encore faut-il le voir et oser l'attraper. Il faut donc qu'il y ait déjà des bugs dans le programme. Si non, vous ne risquez pas de le voir. Plus le conditionnement est important, plus les fenêtres se ferment. Comme pour les adeptes des sectes, il ne faut pas leur envoyer un modèle trop violent, il faut y aller par de toutes petites choses.»
Crédit: Ph. Alain Schmidt
Maïté Hamouchi

«Derrière la grille», de Maude Julien, éditions stock, 313 pages, 19,50