Gérard Mordillat présente «Hamlet, le vrai»

par
Maite
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Gérard Mordillat a eu entre ses mains une version inédite d'une des pièces les plus célèbres du répertoire mondial: ‘Hamlet'. Dans «Hamlet le vrai», l'auteur et cinéaste français nous livre la version de Thomas Kyd, corrigée par William Shakespeare himself! Alors, to be or not to be?

Comme vous l'expliquez dans la préface, ce livre est né d'une rencontre avec l'épigraphiste anglais Gerald Mortimer-Smith.

«Cet épigraphiste enseignait par la parole et n'était pas, comme ces grands intellectuels, très publié car il combattait l'université. Je l'ai rencontré, en compagnie du professeur Graham Stanton, pour parler d'une très ancienne copie du Nouveau Testament: le Codex de Bèze. Nous sommes partis de l'apôtre Paul à un de ses textes anti-juif, de Luther à ses textes antisémites, de Luther au protestantisme, etc. De là, Mortimer-Smith a mis le doigt sur la question que tout le monde se pose: Quelle est la religion de Shakespeare? Il nous a parlé de sa découverte, sous forme de rouleaux, de morceaux d'Hamlet sur lesquels il a trouvé deux types d'écriture. Il les a comparés avec la seule trace écrite que nous avons de William Shakespeare. Il s'est rendu compte que ce qu'il avait entre les mains était la version de Thomas Kyd sur laquelle il y avait des corrections et des annotations de Shakespeare

Comment Shakespeare a-t-il eu tous ces rouleaux? À l'époque les acteurs n'étaient en possession que de leur propre texte.

«Il devait sûrement les ramasser. Il jouait dans la pièce de Thomas Kyd le rôle du Spectre. Vu le nombre de corrections, il avait sûrement collectionné tous les rouleaux et ne s'était pas gêné pour faire des ajouts, des suppressions et des annotations. Il ne faut pas avoir l'image contemporaine de l'auteur avec son œuvre précieuse et intouchable. À cette époque, les auteurs se connaissaient, ils s'échangeaient les acteurs et les pièces. Il y avait une liberté plus grande qu'aujourd'hui de ce point de vue-là. Il n'y existait pas l'idée du droit d'auteur.»

La version que vous nous livrez aujourd'hui est celle de Thomas Kyd corrigée par Shakespeare mais retravaillée par vous.

«J'ai reçu des photocopies de ces morceaux de texte. À partir de la version que l'on connaît de William Shakespeare, j'en ai supposé une première version plus proche de celle de Thomas Kyd que de Shakespeare. Évidemment, j'ai abordé le texte en poète, je l'ai réinventé, réécrit. Je n'ai pas cherché à me situer à l'époque de Shakespeare. Je l'ai écrite comme elle aurait été écrite aujourd'hui. Cela rend à la fois hommage aux deux auteurs.»

Comment avez-vous appréhendé cette nouvelle version?

«Deux choses m'ont beaucoup touché dans cette redécouverte. D'une part, elle permettait de mieux comprendre l'âge réel des protagonistes et d'en avoir un point de vue anthropologique. Nous sommes leurrés par les interprétations contemporaines dans lesquelles les acteurs qui jouent les rôles ont généralement deux ou trois fois l'âge qu'ils devraient avoir pour être fidèle à la pièce. Ophélie a 12-13 ans et on fait jouer ce personnage par des femmes qui en ont 35. On peut comprendre qu'elle se fasse abuser. Si à 35 ans, elle se faisait abuser de cette manière, elle serait un peu neuneu. D'autre part, il fallait avoir bien en tête qu'en tant que directeur de troupe, Shakespeare devait fournir du travail à tout le monde. Il fallait par exemple trouver un rôle à l'acteur comique de la troupe. Il organise donc le duel entre Laërte et Hamlet. Si vous avez Coluche dans votre troupe, il faut lui trouver un rôle. Sinon, il irait chez les autres.»

Les pièces de théâtre étaient donc, à l'époque, en perpétuel changement.

«Ce que nous avons aujourd'hui est une compilation par extension de tout ce qui était Hamlet. Mais Shakespeare tenait compte des acteurs qui étaient là et ceux qui ne l'étaient pas. De ce point de vue-là, le film ‘Shakespeare in love' était une merveille d'intelligence.»

En quelques lignes

Le hasard faisant bien les choses, suite à une rencontre avec l'épigraphiste Gerald Mortimer-Smith sur un tout autre sujet, l'écrivain et cinéaste français Gérard Mordillat reçoit une version inédite d'«Hamlet»: des feuillets de parchemin couverts de corrections, d'annotations et de ratures. Cette version inédite est celle provenant de la pièce de Thomas Kyd corrigée par William Shakespeare lui-même. À partir de ces rouleaux, aujourd'hui malheureusement disparus, Gérard Mordillat réinvente une des pièces des plus renommées du monde, en mettant en exergue les personnages principaux tout en y apportant une analyse anthropologique. Qui était réellement Hamlet? Que voulait-il dire à Ophélie lorsqu'il lui somme d'aller au couvent? Quelle relation avait-il entre le personnage principal et son ami, Horatio? Pour l'auteur, la véritable question de la pièce n'est pas ‘To be or not to be' mais ‘Qu'est-ce que la vérité?'. Une nouvelle version à ne pas manquer.

«Hamlet, le vrai», de Gérard Mordillat, éditions Grasset, 180 pages, 18€

4/5