Interview: François Ozon travestit Romain Duris

par
Laura
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Tandis que, dans les rues de Paris, les manifestations contre la loi sur le mariage gay faisaient rage, François Ozon («Swimming Pool»), indigné d'une telle étroitesse d'esprit, écrivait. Un an et demi plus tard, il répond aux manifestants avec «Une Nouvelle Amie», une tragicomédie sur un brave père de famille (Romain Duris) issu d'un milieu bourgeois qui, après le décès de sa femme, se travestit. Metro a rencontré Ozon le mois dernier au Film Fest Gent, où le film était en compétition.

Ce film est-il votre réponse à la «Manif pour tous», qui s'opposait bruyamment au mariage gay?

François Ozon: «Dans un certain sens, oui. Quand j'ai écrit le scénario, un énorme vent réactionnaire soufflait à travers la France. Je voulais contrer cela. Mais il fallait dans ce cas que je fasse un film qui pouvait plaire à un large public, plutôt que de s'adresser seulement à une niche. Je voulais atteindre aussi les gens qui participaient à ces manifestations. C'est la raison pour laquelle j'ai abordé ‘ Une Nouvelle Amie ' comme un conte de fées du genre de ‘ La Belle au bois dormant ' -un genre familier à tout le monde.»

Pensez-vous vraiment que les gens changeront d'avis grâce à votre film?

«Je l'espère. (rires) Le film, en tous les cas, peut peut-être leur faire comprendre que le désir est une chose complexe. Et qu'une famille peut prendre des formes très différentes. Que c'est plus compliqué que: ‘ les garçons portent du bleu, les filles du rose '. En même temps, je voulais aussi relativiser un peu le thème. Finalement, il n'y a rien de dramatique au fait que quelqu'un veuille changer de sexe. Car à qui cela nuit-il, en fait?»

De là donc le ton léger. Le film est aussi comique que tragique.

«Oui, comme le personnage principal, il n'est pas à ranger dans une case. J'aime changer de ton dans un film. Et ici, avec un certain nombre de scènes humoristiques, j'ai voulu aussi accentuer l'aspect ludique du travestissement: un homme qui enfile des vêtements de femme, cela a aussi quelque chose d'amusant. C'est presque comme un enfant qui se déguise.»

Vous jouez avec les limites homme-femme. Vous sentez-vous proche d'une pop-star comme Stromae, par exemple, qui dans son clip vidéo de «Tous les mêmes» apparaît mi-homme, mi-femme?

«Oui, je le trouve fantastique. Stromae a du culot pour oser faire ce genre de choses. Et en même temps, c'est révélateur aussi des jeunes d'aujourd'hui: ils sont beaucoup plus relax par rapport à la distinction homme-femme. Pour les gens de ma génération, un garçon était un garçon, et une fille une fille. Les jeunes d'aujourd'hui comprennent beaucoup mieux que l'identité est quelque chose de flexible. Ce qui explique aussi pourquoi ils sont en général plus ouverts à ‘ Une Nouvelle Amie ' que la plupart des adultes, qui sont déjà casés avec femme et enfants, et s'accrochent au carcan traditionnel.»

Pourquoi avez-vous choisi Romain Duris pour le double rôle principal?

«J'avais lu dans une interview qu'il avait envie pour une fois de jouer une femme. C'était donc une occasion unique. J'ai vu, bien sûr, d'autres acteurs aussi, mais lors des tests, il s'est tout de suite avéré qu'avec Romain, on pouvait vraiment voir qu'il y prenait du plaisir. Les autres acteurs étaient un peu mal à l'aise, tandis que le rôle était justement le summum pour Romain. Jouer une femme signifiait pour lui y aller vraiment à fond. Il devait se transformer complètement, apprendre à marcher avec des hauts talons -il était extrêmement enthousiaste à cette idée. Dans ses yeux, on voyait ce plaisir enfantin que j'avais tellement envie de montrer. Je voulais que les scènes où il commence à essayer des vêtements féminins aient l'air tellement amusantes, que les hommes dans le public diraient: ‘ Je veux aussi porter une robe et des talons! ' (rires) C'est exactement ce sentiment que Romain transmettait.»

Est-il vrai que vous aviez aussi proposé le rôle à Matthias Schoenaerts?

«Matthias n'appréciera peut-être pas que je n'ai pas su tenir ma langue, mais oui. Je trouvais que c'était un choix intéressant parce qu'il est un acteur très sensible, il a aussi un côté féminin, je trouve. Un peu comme Gérard Depardieu: un physique viril, mais sous cette carapace, il y a quelque chose de très doux. Mais cela uniquement, ce n'est pas suffisant, évidemment. Ce rôle demandait beaucoup de préparation: il faut non seulement trouver la bonne perruque, mais il faut aussi maigrir, etc. Matthias n'avait absolument pas le temps pour tout cela, il avait déjà des tas d'autres projets en route. C'est pourquoi il a quand-même dû décliner finalement. Mais, en réalité, il avait bien envie de le faire. Ça, je le sentais. Il était clairement intrigué. Pour un acteur, ce genre de rôle est un énorme défi. Cela change de jouer les brutes dans l'un ou l'autre film de gangsters. (rires)»

Lieven Trio

@l_trio

En quelques lignes

«Une Nouvelle Amie» s'ouvre sur des gros plans sexys d'une mariée rayonnante. Lorsque la caméra s'élève, on découvre que cette belle blonde repose dans un cercueil, et qu'on a passé une minute à zieuter un cadavre. Comme si le réalisateur François Ozon voulait d'emblée nous faire comprendre que nos désirs peuvent prendre d'étranges directions, et franchir sans problème les frontières entre la vie et la mort. Un peu plus tard, Ozon nous réserve une deuxième surprise: lorsque Claire (Anaïs Demoustier) entre dans la maison du veuf David (Romain Duris), elle voit une femme blonde assise dans le salon. Laura -la défunte mariée au début du film- serait-elle ressuscitée? Lorsque celle-ci se tourne vers la caméra, on découvre qu'il s'agit en fait de David. En se déguisant en femme, il veut être à la fois un père et une mère pour leur petite fille encore bébé. À moins qu'il n'aime aussi secrètement porter des sous-vêtements en dentelle? Et pourquoi Claire s'intéresse-t-elle tant à lui/elle tout d'un coup? «Une Nouvelle Amie» est une actualisation transgenre de classiques comme «Vertigo» («Sueurs froides») et «Laura», sur des gens qui éprouvent du désir pour le fantôme d'un(e) défunt(e). Le scénario part dans trop de directions différentes, mais Ozon cependant associe ici sa causticité caractéristique à un plaidoyer délibérément naïf, mais tellement nécessaire, pour davantage d'ouverture d'esprit.

Ph: D.R