Modeste et Pompon, ou les fifties selon Franquin

par
Laura
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Seule infidélité d'André Franquin à la maison Dupuis, la série «Modeste et Pompon» aurait pu passer inaperçue aujourd'hui. Mais c'était sans compter sur le talent du génial créateur de Gaston Lagaffe et la bonne idée des éditions du Lombard de sortir une intégrale commentée.

Considérant s'être fait rouler par Dupuis sur une histoire de droits d'auteur, André Franquin n'hésite pas à aller frapper rue du Lombard où Raymond Leblanc, fondateur du concurrent de Spirou, le journal Tintin, lui faisait les yeux doux depuis un petit temps. Devant abandonner son cher groom, Franquin imagine des personnages vite faits qui deviendront des héros appréciés des lecteurs 7 à 77 ans.

Ainsi naquirent en 1955 Modeste et Pompon, couple moderne des fifties. Cette aventure fait aujourd'hui l'objet d'une intégrale parue au Lombard. En guise d'introduction aux cinq années de planches reprises dans ce bel ouvrage, plusieurs textes bien documentés explorent les différents aspects de la série: ses conditions de création, sa volonté de capturer un certain air du temps (design, automobile…), ses différents scénaristes et son art de l'humour du quotidien.

Un couple de son temps

«C'est une bande dessinée emblématique qui est le reflet de son époque: pour le design mais aussi certains aspects sociologiques", nous explique Isabelle Franquin, la fille du créateur. «C'est la première œuvre d'André Franquin de gags en une planche. Ce sont aussi ses premiers personnages vraiment à lui quoiqu'il n'ait pas eu le temps de beaucoup les développer."

Jusqu'à présent André Franquin avait été le fantastique repreneur de Spirou et Fantasio, faisant vivre au groom quelques-unes de ses plus belles aventures. «Il avait été pris un peu de court ce qui a dû être assez frustrant. La naissance de Gaston (apparu dans les pages de Spirou en 1957, ndlr) fut beaucoup plus lente." Il imagine donc un drôle de couple, platonique pour correspondre à la morale de l'époque – «On ne pouvait pas les faire vivre sous le même toit sans qu'ils soient mariés". Inventeur génial, Modeste, un nom ironiquement révélateur sur la nature du personnage, vivrait de ses brevets, selon Isabelle Franquin qui aime particulièrement la compagne de ce dernier pourtant souvent cantonnée au rôle d'observatrice des mésaventures de Modeste. «J'ai une certaine affection pour Pompon. Elle est beaucoup moins anodine qu'on voudrait le faire penser. Elle n'est pas idiote et peut être sarcastique par moments. Elle parvient à mettre en relief les gaffes de Modeste. Elle n'a pas l'amplitude de Seccotine."

Autour du duo principal, l'auteur développe aussi quelques personnages récurrents comme Félix, vendeur en porte-à-porte, et les turbulents neveux de Modeste. Un petit air d'époque se dégage, un après-guerre doré où tout semble possible et serein.

So fifties

Modeste et Pompon, c'est aussi un design, reflet d'une époque. «Les meubles de Modeste et Pompon sont en partie ses meubles à lui. C'est un choix. Il faisait aussi partie de toute une génération pour laquelle les années d'adolescence furent marquées par la guerre. Il a peut-être été fasciné par la nouveauté. Le soulagement de la facilité." En pleine période du style atome, l'intérieur de Modeste est marqué par des meubles de créateurs contemporains. Canapés de Borsani, sculptures de Moore, etc. Mais Isabelle Franquin a aussi pris plaisir à retrouver des objets familiers: un lièvre en peluche, des peintures de Jijé, des céramiques de Maltaite et bien d'autres éléments de son propre intérieur. «C'était les objets qui lui plaisaient. Il est plus facile de dessiner ce qu'on aime."

Une fois réconcilié avec Dupuis, Franquin est pris entre deux eaux. Il dessine à la fois «Modeste et Pompon» dans Tintin, les personnages étant bien classés dans le hit-parade des lecteurs, et reprend «Spirou et Fantasio» et lance «Gaston» chez Dupuis. Bien qu'aidé par quelques scénaristes de renom comme Greg, Peyo ou Goscinny mais surchargé de travail, il finira par léguer son duo à Dino Attanasio, connu pour son célèbre Spaghetti. La série perdurera jusqu'aux années 80 mais restera marquée par son esprit fifties dans la tête des lecteurs qui peuvent aujourd'hui retrouver en un volume l'ensemble des planches de Franquin.

"L'intégrale des aventures de Modeste et Pompon", d'André Franquin, éditions le Lombard