Il transforme son vélo-cargo en plancha mobile et cuisine pour les sans-abri

Designer et humaniste, Kamel Secraoui a conçu des bancs publics où inscrire dédicaces, citations ou mots doux, puis a installé une plancha sur son vélo, allant par les rues de Toulouse mitonner de savoureux repas pour les sans-abri.

par
AFP
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C’est l’heure du déjeuner. Un arôme appétissant de courgettes et d’oignons rissolés flotte dans l’air. Pas de restaurant pourtant au pied des hauts murs de briques de Saint-Michel, ancienne prison à l’allure de château fort. Juste un vélo et, en remorque, une plancha en inox: Kamel Secraoui y apprête des croque-monsieur, avec du «vrai pain» croustillant.

Par l’odeur alléché, un groupe se forme. Sacs à dos ou besaces tombent des épaules, le temps d’une pause gourmande pour une dizaine de SDF venus là par le bouche-à-oreille.

Son fox terrier en laisse, Bénédicte, 50 ans, dont la vie de repasseuse à domicile a basculé après une violente agression, aime à s’y «réchauffer un peu le cœur».

«Y a du goût! Ça change» des habituelles distributions alimentaires, se délecte Mehdi, 46 ans. Licencié d’une déchetterie pour avoir refusé le vaccin contre le covid, il vit dans la rue depuis janvier, faute de pouvoir payer un loyer.

Créer du lien, partager

Kamel Secraoui, lui aussi âgé de 46 ans, entend «créer du lien avec des personnes qui n’ont pas l’habitude, qui ont peu d’attention» afin d’«humaniser la ville par des gestes simples, des moments partagés».

Issu d’une famille de six enfants, dont le père kabyle était venu d’Algérie travailler à l’usine d’engrais AZF (qui a explosé en 2001 faisant 30 morts et plus de 8.000 blessés) ce fan du Stade toulousain naît le 28 mai 1976 dans la Ville rose.

Il grandit au cœur de la cité populaire du Mirail, inspiré par la générosité des femmes de son entourage: sa mère, deux soeurs, une grand-mère qui «n’était pas la plus riche, bien au contraire, mais le peu qu’elle avait, elle le partageait».

Fondateur de l’agence KLD Design, sélectionnée pour plusieurs biennales dont Venise en 2018, il crée signalétiques, objets et mobiliers colorés destinés à des collectivités ou aux particuliers.

Une cinquantaine de ses bancs aux lignes graphiques, baptisés «Naelou» (à partir des prénoms de ses enfants Naël et Lou) ornent ainsi parcs et trottoirs de différentes villes, ou jardins privés.

Leur particularité: «via la page naelou.com, les gens envoient leurs messages qui y seront inscrits à l’emporte-pièce», à raison d’un euro le mot, ou gratuitement quand c’est, par exemple, un cadeau d’une maison de retraite à ses résidents.

Connu sous le nom de Chat Maigre pour ses œuvres de street art, le designer a défrayé la chronique en 2006 en égayant clandestinement un radar routier avec des legos. «Le préfet a fait enlever le radar et m’a convoqué. Il était étonné que des gens lui demandent de le remettre», se souvient-il en riant.

Grand prix humanitaire

L’idée du vélo-plancha a surgi pendant le confinement: «Nous nous régalions de grillades avec ma famille et je pensais aux gens à la rue». Il dessine, puis fabrique avec un métallier une plancha «hygiénique et fonctionnelle».

Une association est née, le Plancha Social Club, qui a reçu récemment la médaille d’or du Grand prix humanitaire de France. Quelques bénévoles s’y sont impliqués, telle Halima Benaissa, 64 ans, médiatrice sociale à la retraite qui «aide, accompagne, discute» avec les convives.

Animatrice au restaurant social de la municipalité, Houria Chikah, 49 ans, est là depuis le démarrage fin 2021. «C’est ludique, chaleureux et on prend le temps d’échanger», apprécie-t-elle.

Si Kamel Secraoui rêve de rallier davantage de monde afin que le vélo-plancha ne soit pas tributaire de ses engagements professionnels et «tourne plus qu’une ou deux fois par semaine», il n’entend pas s’arrêter là.

Sa nouvelle idée: un concours destiné aux jeunes attirés par le graphisme, mais sans argent pour l’étudier. «Les meilleurs décoreront le métro de Toulouse, en partenariat avec l’exploitant Tisséo, et montreront ainsi leur talent.»

Le designer connaît ce terrain: en 2008 il avait, en toute légalité, orné de stickers huit ascenseurs et une station. «J’aime la ville et la voir différemment, en couleurs», explique Kamel Secraoui, désireux aujourd’hui de «donner vraiment le sourire, en partageant».