Les NFT s’introduisent aussi au musée

Les artistes se sont rapidement saisis des NFT, tandis que les institutions muséales sont restées plus circonspectes vis-à-vis de cette nouvelle technologie. Peu d’entre elles s’étaient, jusqu’à présent, aventurées à monter des expositions autour de ces objets numériques. Une situation à laquelle compte remédier le musée d’art contemporain Castello di Rivoli de Turin.

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ETX Daily Up
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Il y a un an, peu d’amateurs d’art avaient entendu parler de Michael Winkelmann, alias Beeple. À l’époque, il avait déjà des millions d’abonnés sur Instagram mais aucun musée n’avait exposé les créations pop de ce graphiste de la Caroline du Sud. La vente d’une de ses œuvres sous forme de NFT, le 11 mars, chez Christie’s pour 69,3 millions de dollars (58,1 millions d’euros) a changé la donne.

Beeple est depuis devenu la figure emblématique des NFT, ces certificats de propriété numérique dont l’authenticité est vérifiée par la technologie de la blockchain. Si ces jetons non fongibles ont amorcé une petite révolution dans le monde de l’art, ils ont plus de mal à entrer au musée. Les exposer peut, en effet, s’avérer être un véritable casse-tête logistique pour des institutions habituées aux œuvres «physiques» et non numériques.

Le musée d’art contemporain Castello di Rivoli de Turin est, lui, décidé à relever ce défi. Il inclura une pièce de Beeple dans sa prochaine exposition «Espressioni Con Frazioni», qui ouvrira ses portes le 24 avril prochain. Son nom? «HUMAN ONE». Cette sculpture cinétique prend la forme d’une colonne d’acajou blanc de 2 mètres de haut recouverte d’écrans LED représentant un personnage vêtu d’un casque et d’une combinaison argentée. Selon le Wall Street Journal, «HUMAN ONE» sera diffusé sur un pilier tournant sur lui-même pour donner l’impression aux visiteurs du musée Castello di Rivoli que la sculpture prend vie sous leurs yeux.

Légitimiser les NFT

Petite particularité: «HUMAN ONE» sera exposé non loin de «Study for Portrait IX», une toile de Francis Bacon mettant en scène un homme en costume, sans mains, avec un air réservé. Cette toile provient de la collection du musée Castello di Rivoli, tandis que la sculpture cinétique en vidéo de Beeple est un prêt. Pour Carolyn Christov-Bakargiev, directrice du Castello di Rivoli, ces deux œuvres ont plus en commun qu’il n’y paraît. «Les deux œuvres présentent un joli contraste», a-t-elle déclaré au journal américain. «L’homme de Bacon est tourmenté à l’époque de la guerre froide, après la bombe atomique, et on a l’impression qu’il ne peut rien faire, et puis il y a le personnage de Beeple, constamment en mouvement mais dans sa boîte».

L’exposition «Espressioni Con Frazioni» marque un tournant dans la carrière de Beeple puisqu’il s’agit de sa première incursion dans un musée d’envergure internationale. Elle est toute aussi importante pour asseoir la légitimité des NFT dans un secteur souvent frileux vis-à-vis des avancées technologiques. Les artistes le sont, eux, beaucoup moins. Beaucoup nourrissent l’espoir que les NFT puissent remettre en question le modèle commercial des maisons d’enchères et des galeries d’art, resté incontesté depuis des années.

Les musées et institutions culturelles jouent, quant à elles, un rôle essentiel dans la démocratisation de ces lignes de code renvoyant à une œuvre virtuelle auprès du grand public. Et il y a encore du travail de ce côté-là. Seuls 8% des Français savent précisément ce qui se cache derrière l’acronyme NFT, selon une étude de l’Ifop commandée par le média spécialisé Cointribune.com. Ce phénomène dépasse les frontières de l’Hexagone. La banque d’investissement Piper Sandler a constaté qu’une infime partie des adolescents américains (8%) ont déjà acheté des jetons non fongibles, alors qu’ils sont la cible privilégiée de cette nouvelle technologie.

Les institutions culturelles ont la possibilité de changer la perception qu’ont leurs visiteurs des NFT, et plus généralement du crypto-art. C’est aussi intéressé de leur part: la présence de jetons numériques et autres œuvres digitales dans leurs collections pourrait leur permettre d’attirer une nouvelle audience jeune et issue de la crypto dans leurs galeries. Du pain bénit après deux ans de pandémie.