Recontre avec Juliet Bonhomme, influenceuse belge 'slow fashion'

par
Lucie Hage
Temps de lecture 6 min.

Depuis quand réfléchis-tu en termes de durabilité?

«Il y a trois ans, j’ai eu une prise de conscience sur l’impact de notre consommation sur la planète. J’ai eu la chance de pouvoir travailler dans une asbl bruxelloise qui sensibilise à la consommation durable. J’ai fait ma transition vers le zéro déchet, le bio, le local… Et ce qui a été le plus difficile pour moi: la mode! Car j’ai toujours été une fashion addict, mon rêve au départ était d’ailleurs de faire des études de stylisme à la Cambre. Je consommais énormément de fast fashion. Il a fallu une désintox radicale alors j’ai tout bonnement arrêté de consommer la mode pendant six mois. Et puis j’ai trouvé ma solution pour rester tendance et se faire plaisir sans trop consommer: les fripes!»

Pour les jeunes d’aujourd’hui, les fripes, c’est chic?

«Il me semble que ça le devient, oui. J’essaye en tout cas de rendre cela attractif en m’amusant à reprendre tous les codes des influenceuses mode classiques comme par exemple se mettre en scène dans la rue avec des tenues chinées, travailler des poses et des mises en scène avec de vieux vêtements transformés… Quand je vois toutes ces jeunes femmes faire des ’walls’ sur Instagram où elles se filment en train de déballer leurs achats compulsifs, je suis vraiment fâchée. Ce n’est pas normal de banaliser la consommation à outrance. C’est pour cela que j’ai eu envie de devenir influenceuse green: pour montrer aux consommateurs qu’être responsable et conscient dans ses achats ce n’est pas compliqué et c’est beaucoup plus créatif et gratifiant.»

Ensuite, tu as été un cran plus loin avec le upcycling…

«Pendant le confinement, comme je ne pouvais plus aller chiner en boutique de seconde main puisqu’elles étaient fermées, j’ai demandé à ma mère de m’apprendre à utiliser sa machine à coudre. J’ai commencé à transformer les textiles que j’avais déjà: j’ai fait des tops dans des taies d’oreiller, des chemises dans des nappes… J’ai eu le sentiment de boucler la boucle de la slow fashion en transformant ce que j’avais chez moi. J’ai beaucoup partagé cela sur les réseaux sociaux et j’ai senti un engouement. J’ai lancé ‘Slow shells’ également, un concept de transformation de bijoux. On a tous plein de petits bijoux qu’on ne porte plus. Les revendre sur Vinted, c’est du chipotage très chronophage. J’ai alors commencé à les assembler, à y ajouter des petits coquillages que j’avais ramenés de Bali où j’avais appris à les travailler en bijou avec un artisan local. Je les vends sur mes réseaux sociaux ou lors de ventes de créateurs. Aujourd’hui, je récupère aussi de vieux bijoux à droite à gauche.»

Tu expliques aux followers comment faire?

«Non, je ne me sens pas légitime. Ce que je veux surtout c’est juste de prouver que chacun peut s’amuser à cela chez soi, sans être un couturier pro, qu’on a déjà plein de brol chez soi et qu’en plus, on peut être fashion avec de l’ancien ou du upcyclé. Une followeuse m’a dit que grâce à moi, elle ne va plus le samedi chez Zara avec sa maman mais aux Petits Riens! Là, je me dis que ma mission est accomplie…»

Les jeunes sont-ils la locomotive du changement?

«Ils sont aussi le moteur du changement. C’est quand même ma maman qui a initié en moi l’écologie en m’encourageant à ne pas gaspiller, à manger bio… On sent parfois une volonté de créer un communautarisme entre les jeunes et les moins jeunes sur l’engagement écologique mais aux marches pour le climat par exemple, vous observerez qu’il y a autant de ‘jeunes’ que de ‘vieux’. L’écologie est un point de ralliement pour toutes les générations. Par ailleurs, je vois encore énormément de jeunes qui s’en fichent complètement de consommer responsable.»

Gagnes-tu ta vie en tant qu’influenceuse ou upcycleuse?

«Pas tellement. J’ai des propositions de partenariats rémunérés mais je les refuse souvent parce que les marques sont nombreuses à faire du greenwashing. Au final, je collabore surtout avec des petites asbl qui n’ont pas ou peu de moyens donc c’est un peu rémunérateur mais pas rentable. J’ai quitté mon travail en juin et maintenant, mon objectif est de gagner ma vie en proposant mes services aux magasins pour revaloriser leurs invendus par exemple. De la consultance en upcycling! Je travaille déjà avec un premier magasin de seconde main. On réfléchit à un système où lorsque l’article n’est pas vendu dans les quatre mois, on collaborerait avec un atelier protégé ou avec des réfugiés pour transformer la pièce. Car moi, je ne peux pas tout faire seule. Et en plus, je suis encore en train d‘apprendre. J’ai tellement envie de faire du upcycling à grande échelle!»

Tu te crées un métier sur mesure. Tu fais du upcycling de métier!

«Oui, c’est exactement ça et c’est pour cette raison que c’est tellement excitant et difficile à la fois car il faut tout inventer. Garder ce qui existe déjà, les magasins de seconde main par exemple, et créer une organisation avec d’autres acteurs existants pour obtenir un nouveau schéma et que je puisse en retirer un petit salaire. Ce qui est certain c’est que le upcycling est en plein essor et je crois fort en ce projet.»

On dirait qu’inspirer à la consommation durable sur les réseaux, c’est plutôt un truc de femmes…

«C’est logique car le public actif sur les réseaux est plus féminin que masculin. Les femmes osent aussi plus se dévoiler personnellement sur les réseaux. Il y a des hommes influenceurs aussi mais ce sont plus des personnalités comme des écrivains, des réalisateurs ou des journalistes, qui vont communiquer sur ce qu’ils font professionnellement. Ils ne mélangent pas le côté pro et le côté privé, comme les femmes le font en général. Et puis, tout simplement, j’imagine que ce sont encore majoritairement les femmes qui s’occupent des achats au quotidien.»

Es-tu intéressée par la politique?

«Je pense plutôt en termes individuels: chaque geste compte et les gestes de chacun, mis bout à bout, peuvent réellement changer le monde. Mais il me semble également que le changement doit passer aussi par le politique. Cependant, j’ai participé récemment à un échange au Parlement européen avec les acteurs de la mode éthique et j’ai trouvé malheureusement que c’était que du blabla. Il n’y avait rien de concret. Je suis dubitative par rapport à un changement qui viendrait du politique.»

Que conseilles-tu pour commencer à consommer responsable?

«Consommer mieux mais moins. Se dire que l’argent que l’on dépense doit l’être pour le monde que l’on veut voir demain. Allez donc dans les petits commerces éthiques ou bien acheter des petites marques belges en ligne. On peut aussi changer de banque, aller vers une banque plus éthique. Se renseigner avant de voter. Ne pas hésiter à interpeller un politique, un parti… Engager la discussion! La Belgique est un pays très petit où les politiques sont assez facilement accessibles finalement.»

Est-ce que tu trouves qu’il y a assez d’offre de consommation responsable?

«J’habite à Ixelles et justement je trouve que les concepts green fleurissent particulièrement bien. Il y a pas mal de magasins en vrac et bio, de friperies, de restaurants qui travaillent les produits locaux, de coopératives, d’incubateurs, d’ateliers créatifs, de coworkings green… Franchement, pour Bruxelles, je suis très optimiste!»

Pour terminer, une émotion à partager?

«J’ai pleuré la semaine passée en regardant le documentaire ‘Bigger Than Us’ de Flore Vasseur, qui va à la rencontre de différents activistes écologiques et sociaux de par le monde. Je conseille aussi de lire et suivre l’essayiste et homme politique français Raphaël Glucksmann, notamment son livre: ‘Lettre à la génération qui va tout changer’.»