Niko Tackian prend le Metro: «On devrait tous écouter ce que nos rêves ont à nous dire»

Réalisateur, scénariste et créateur d’«Alex Hugo», auteur de thrillers… Niko Tackian a plus d’une corde à son arc. À l’occasion de la sortie de son dernier roman «La Lisière», le romancier s’est prêté au jeu et a pris le Metro.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 6 min.

On The Move

Dans quel voyage emmenez-vous vos lecteurs?

Niko Tackian: «Dans les Monts d’Arrée, une région méconnue du Finistère, à l’intérieur des terres. Elle me donne l’impression d’être en Ecosse ou en Irlande, avec ses grandes tourbières noires, ses crêtes acérées et rocheuses… On se demande où on est! J’ai aussi découvert à quel point le folklore breton avait un lien avec cet endroit.Du «Yudik», qui serait la porte des enfers, à l’Anku, qui est l’ouvrier de la mort chargé de faire passer les âmes… Toutes ces légendes se sont mélangées au cœur de mon récit.»

C’est un double voyage: à la fois sur le terrain, et dans le monde des rêves…

«Oui, il y a une double enquête menée par un trio de femmes. D’abord l’enquête très concrète avec une gendarme. Et puis celle dans les rêves de Vivian, la victime, pour explorer son passé. Dans ce travail, elle est accompagnée par une psychanalyste pour l’aider à décrypter ses rêves.»

En Vrai

Cet univers onirique vous fascine?

«Oui, ça me fascine. Il faut dire que l’on passe plus d’un tiers de notre vie à dormir! Le rêve a une fonction psychologique très importante puisque c’est grâce à lui que l’on archive nos souvenirs et qu’on en efface certains de notre mémoire. Ce mécanisme est fascinant. C’est aussi ce qui forge notre identité. Et puis, il y a la signification de ces images. Il ne faut pas traiter le rêve comme quelque chose de superficiel, mais essayer de comprendre ce qu’il dit de nous. Parce qu’il ne parle jamais que de nous, même si on y voit d’autres personnes. Ce sont des projections de nous-mêmes. Pourquoi endossons-nous ces masques nocturnes? Ces messages sont essentiels et devraient être entendus. On devrait tous s’intéresser beaucoup plus à ce que nos rêves ont à nous dire.»

Qu’est-ce que le tatouage représente pour vous?

«Le tatouage est très symbolique pour moi. J’ai une moitié du corps tatoué, avec une division gauche/droite. D’un côté, je n’avais pas envie de revenir sur mon essence même, ce côté ‘page blanche’ de l’être humain. De l’autre, je voulais aussi inscrire dans ma peau une trace de moi, de mon intériorité. J’ai trois tatouages, très grands, qui représentent des choses de ma vie ou de ma personnalité suffisamment importantes pour que j’aie envie de les inscrire en moi.»

Et seriez-vous prêt à dévoiler la signification de l’un d’eux?

«Le premier, ce sont deux carpes qui se regardent et qui symbolisent mes enfants, deux jumeaux qui sont Poisson. Ensuite, j’ai un tatouage complexe: ce sont plusieurs cases de BD racontant une histoire qui évoque l’écriture. Et puis une femme, en l’occurrence celle de Blade runner, Rachael, qui regarde avec un air triste derrière moi. Celle-là, je ne vous en dirais pas plus!»

Lifestyle

Quand vous écrivez, plutôt cartésien ou plutôt rêveur?

«Rêveur. Quoique: je ne prends pas tout pour argent comptant. Dans Mulder et Scully, je suis entre les deux. I want to believe mais il faut pas me la faire quoi! (rires

Vous avez pratiqué les arts martiaux. Le sport a beaucoup d’importance dans votre vie?

«Il en a beaucoup eu. Il y a une forme d’ascétisme dans les arts martiaux qui ressemble un peu à l’ascétisme de l’écrivain. Ça t’apporte aussi une forme de discipline car tu sais que rien n’est acquis tout de suite. Et puis dans l’écriture, j’ai un sens très concret de la brutalité. Je sais ce que c’est que de sentir ses côtes se casser sous un poing, de briser une articulation et de sentir ses tissus se déchirer. Je connais les bruits, les sensations. La violence n’est pas idéalisée parce que je la vis de manière intime. Et ça, ça vient des arts martiaux. Le rapport à la douleur est beaucoup plus précis.»

Look Up

La nature est le décor de vos romans, c’est même quais un personnage. L’environnement est important à vos yeux?

«Oui. D’abord, ça t’apporte une humilité que tu as tendance à oublier quand tu mènes une vie citadine. Quand tu es déconnecté de la nature, tu ne te rends plus compte de ta place dans l’univers: tu finis par croire que tu es important… alors que tu es poussière. Ensuite, la nature m’inspire un sentiment d’éternité: ces paysages étaient là avant nous et seront là après. Ça te remet à ta place. C’est pour ça que la nature est toujours plus forte que mes protagonistes: j’ai besoin de cette mise en abîme.»

Media

Avec Franck Thilliez, vous avez créé la série Alex Hugo qui fête ses dix ans. Comment vous expliquez un tel succès?

«C’est vrai que c’est assez historique: il y a peu de séries qui ont tenu dix ans à la télévision française. Alors: merci au public. Pour moi, c’est parce qu’Alex Hugo n’est pas un polar classique, mais plutôt un western. C’est plutôt l’histoire d’un shérif des montagnes qui utilise rarement des moyens policiers pour enquêter… puisqu’il n’en a pas. Il essaie toujours de ramener une forme de philosophie dans ses enquêtes. Et puis il y a le cadre: ces montagnes créent un dépaysement par rapport à la série policière, donc forcément urbaine, qu’on nous a servie pendant des années. Après, il y a Samuel Le Bihan, qui a bien trouvé le personnage et inversement. N’oublions pas Lionnel Astier, devenu un premier rôle parce qu’il a su créer de l’empathie. Il a un talent fou! Tout cela donne une alchimie que le public est heureux de retrouver, saison après saison.»

Sur ces 10 ans, l’anecdote qui vous a le plus marqué?

«C’est la rencontre qu’on a faite, Franck et moi, avec Samuel Le Bihan au moment du casting. On s’est rencontrés dans un café à la Gare du Nord. On a discuté, on s’est bien entendu sur tout. Dans la première version, Alex Hugo était poète. Et Samuel nous a dit: ‘seulement, on oublie la poésie parce que moi, je ne suis pas poète! Par contre, si vous voulez, je sais dessiner’. C’est comme ça que le dessin a remplacé la poésie. Il dessine hyper bien! D’ailleurs, tous les dessins qu’on voit dans Alex Hugo sont des dessins de Samuel. Ce n’est pas une anecdote rigolote mais elle est significative de la série: c’est ce moment où tu te rends comptes que ça matche, que c’est exactement ça qu’il fallait.»

La Lisière, de Niko Tackian, éditions Calmann-Lévy noir, 324 pg, 19,90€