Tatiana de Rosnay, l’inclassable: «Ce roman est en train de changer mon œuvre»

L’autrice du best-seller «Elle s’appelait Sarah» surprend en nous dévoilant «Célestine du Bac», un roman très lumineux sur une bouleversante amitié. Martin et Célestine, tout les oppose. Mais contre toute attente, le lien qui les unit va à jamais changer leur vie.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 6 min.

«Célestine du Bac» est loin d’être un nouveau roman pour vous. Racontez-nous.

«C’est un livre qui arrive du passé d’une très jolie façon. Ce roman avait été refusé par mon premier éditeur en 1993. À l’époque, j’avais été écrasée d’apprendre que ‘Célestine du Bac’ était jugée ‘inclassable’. Donc ce livre s’est retrouvé dans une caisse dans ma cave, caisse qui m’a suivie dans tous mes déménagements. Et puis un jour, j’ai ouvert cette boîte contenant plein de manuscrits jamais publiés. Il y a 30 ans, il n’y avait pas de clé USB. La seule version qui existait, c’était celle en papier. En relisant ce livre, je l’ai trouvé sincère et touchant. Je l’ai montré à mes éditeurs, et là, coup de foudre!»

La rencontre entre Martin et Célestine, c’est une rencontre de deux solitudes…

«Martin Dujeu ne s’est jamais remis de la disparition de sa mère, dans un accident d’avion. C’est un jeune homme solitaire. Passionné d’Emile Zola, comme moi, il écrit un roman sur lui. Célestine du Bac est une femme qui vit dans la rue. Elle fait partie de ces gens sur lesquels le regard ne s’accroche pas. Elle a un parcours tragique. Ces personnages vont se rencontrer à un moment de leur vie où les choses stagnent pour l’un comme pour l’autre. Elle est dans sa solitude de la rue, abîmée par l’alcool, avec une vision assez pessimiste de la vie. Et Martin, il n’ose pas vraiment avancer. Cette amitié va débloquer énormément de choses. Elle va leur permettre, à l’un comme à l’autre, de bénéficier de cette empathie, cette générosité, cette bienveillance.»

Qu’est-ce qui pousse Martin à aller vers Célestine?

«Il pleut et Martin s’abrite sous une porte cochère. Tout d’un coup, il entend une voix qui lui crie ‘qu’est-ce que tu fous là? Casse-toi grand dadais!’ Tout de suite, il remarque qu’elle est en train d’écrire. Voilà la passion qui va les lier. Lui veut savoir ce qu’il y a dans son journal, et elle veut savoir ce qu’il y a dans son roman. C’est comme ça que cette amitié va naître. Sans l’écriture, ils n’auraient pas cheminé ensemble.»

Cette rencontre va bouleverser leurs existences…

«C’est la magie de l’amitié, d’une amitié extraordinaire. Elena Ferrante a écrit ‘L’amie prodigieuse’. Martin et Célestine pourraient dire ça l’un de l’autre. Ils se trouvent prodigieux tous les deux. Elle le dit à un moment ‘tu es le petit magicien qui a redonné des couleurs à ma vie merdique’. Ça dit tout!»

Qu’est-ce qui vous a inspiré le personnage de Célestine?

«Dans son journal, Célestine parle d’une jeune maman qui lui apporte des vêtements, des chaussures trop petites. Dans sa poussette, il y a un petit prince aux yeux bleus qui lui fait coucou. Voilà, il y avait une dame dans ma rue qui s’appelait Titine et écrivait dans un carnet. J’essayais de l’aider, à ma façon. Un jour, elle n’était plus là. J’ai ressenti comme un manque. Je me suis demandé quel était son parcours. Celui de Célestine, je l’ai imaginé mais je crois que malheureusement, 30 ans après, il est terriblement actuel. Je ne peux pas ne pas voir ces femmes dans la rue. C’est impossible.»

Est-ce que ce livre est d’autant plus impactant aujourd’hui qu’il y a 30 ans?

«Oui, ce livre a un retentissement particulier aujourd’hui parce qu’en 2021, il y a cette pandémie qui change la donne. Il aborde des sujets qui sont terriblement d’actualité. Il a peut-être un écho d’autant plus précieux qu’il y a 30 ans. Cette histoire d’amitié, on en a besoin alors qu’on a été tellement séparés. C’est un peu de baume au cœur. Et puis on a besoin d’histoires qui nous font du bien! D’habitude j’écris des livres assez noirs et dérangeants. C’est la première fois que j’écris un livre dont on dit qu’il fait du bien. Et ça, ça me fait du bien à moi aussi (rires)!»

Comment se sont passées les retrouvailles avec ce texte, 30 ans plus tard?

«Ça a été très déstabilisant dans un premier temps. Moi, j’aime aller sonder les noirceurs. Tout d’un coup, je me suis retrouvée face à un texte extrêmement sincère, plus direct, avec une liberté de ton que je pense avoir perdue. Quand je l’ai relu, j’ai été totalement cueillie par l’émotion de mes personnages. Et je pense que c’est ça qui touche mes lecteurs. Cette émotion-là, j’espère ne pas en avoir perdu la recette! Je sais que Célestine est en train de contaminer le livre que j’écris maintenant. J’étais partie dans un huis-clos assez noir, assez glaçant. Et à mi-chemin, Célestine est arrivée comme une fée carabosse pour me montrer un autre chemin. Donc mon prochain livre est en train de se métamorphoser sous mes yeux. C’est une expérience! Et ça, ça ne m’était jamais arrivé. En fait, c’est la Tatiana de 30 ans qui dit à la Tatiana d’aujourd’hui: ‘prends garde à la noirceur des choses. N’oublie pas qu’il y a de la lumière, de l’humour et du sexe’. Parce qu’on retrouve tout ça dans ce livre. Donc c’est une belle leçon pour moi.»

C’est juste ce prochain livre ou plus largement votre œuvre qui change grâce à Célestine?

«Mon travail oui, je le pense vraiment. Retrouver un livre comme ça, 30 ans plus tard, après tout ce que l’on vient de vivre, ce que l’on a appris les uns sur les autres, sur les liens, l’amitié… Ce n’est pas innocent. Ce n’est pas par hasard. Moi qui étais partie dans une vaine assez noire, j’ai besoin et j’ai envie de lumière dans ma vie. Les auteurs sont des éponges émotionnelles. Cette pandémie m’a terriblement impactée, pour plein de raisons personnelles et à tous niveaux. J’y ai peut-être perdu quelques plumes mais je pense que j’ai gagné l’envie d’aller vers une lumière: l’humour, le rire, le partage… Le bonheur tout simplement. Mais bon… un feel-good pur et dur, non, ça, ce n’est pas moi! (rires) Enfin, je n’ai pas dit mon dernier mot!»

En quelques lignes

Lui, 18 ans, fils de bonne famille, solitaire et rêveur. Elle, sans âge, sans domicile, abîmée par la vie et l’alcool. Tout les sépare. Pourtant, un jour, rue du Bac à Paris, leurs chemins se croisent. Ces deux êtres que tout semble opposer vont se découvrir une passion commune pour l’écriture, apprenant à s’apprivoiser en dépassant progressivement leurs préjugés pour toucher à l’essentiel. «Célestine du Bac», c’est un ovni dans l’univers de Tatiana de Rosnay. Pour son dernier roman publié mais l’un des premiers de sa vie, l’autrice nous livre un conte moderne à la fois doux et lumineux. On rit, on est ému et on passe un bon moment de lecture en compagnie de Célestine et Martin, deux personnages aussi atypiques qu’attachants.

Célestine du Bac», de Tatiana de Rosnay, éditions Robert Laffont, 336 pages, 21,50€