Les Dardenne de nouveau sur la Croisette: «A Cannes, ça passe ou ça casse»

Avec leur nouvel opus, ‘Le jeune Ahmed', les Frères Dardenne nous offrent un nouveau personnage: un adolescent en plein conflit. Mais au-delà du style 'naturaliste' qui les a rendus célèbres, ils nous surprennent en creusant un sujet délicat, à savoir le fanatisme religieux. Loin des discours tout faits, ils se sont confiés à Metro sur les questions que ce radicalisme nous pose. Et sur leur passage à Cannes, bien évidemment!
par
Camille
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Ahmed est un adolescent tellement fanatique qu'il décide de commettre l'irréparable. Pas trop délicat d'aborder un tel sujet?

Luc Dardenne: «Au début du film, il est déjà fanatisé. Sa radicalisation a eu lieu, et nous ne cherchons pas à trouver ses causes. Par contre, Ahmed est un enfant en pleine puberté, et ça nous intéressait de confronter ces deux volets de sa personne.»

Jean-Pierre Dardenne: «Ce qu'on voulait voir, c'est si Ahmed peut s'en sortir ou non, pas comment il est tombé dedans.»

Vous vous êtes beaucoup renseignés pendant l'écriture?

JPD: «Bien sûr! Quand on a commencé, on n'estimait pas la puissance du fanatisme. Nous avons rencontré plusieurs psychanalystes, et nous leur avons présenté les quelques idées qu'on avait. Ils ont tous dit la même chose: 'Le fanatique ne change pas, mais il change les autres'. Par exemple, on voit Ahmed tenter de fanatiser sa mère. Le fanatique n'a pas de conscience du mal, car il se considère comme le bien. C'est très difficile pour ceux qui tournent autour de lui de le ramener à la vie, de le sortir de cette pensée mortifère. Car sans remords, il n'y a pas de prise.»

Ph. D.R.

Comment avez-vous trouvé Idir Ben Addi, qui incarne Ahmed?

LD: «On l'a choisi parce que, tout de suite, il avait le rythme. Comme il est mineur, on a décidé de rencontrer ses parents. Ce n'est pas évident pour des parents d'accepter que leur enfant incarne quelqu'un qui veut tuer… peu importe la religion d'ailleurs. Heureusement, ils ont bien compris ce qu'on essayait de faire comme film. Quant à Idir, il ne désirait qu'une chose: jouer! Il adore ça. Il a compris le sujet du film, même si c'était un peu compliqué pour son âge.»

Pourquoi insister sur la jeunesse d'Ahmed, jusque dans le titre?

LD: «Au début, le film s'appelait 'Ahmed', et puis mon frère a remarqué qu'avec un tel titre Ahmed pouvait avoir n'importe quel âge. Or la notion de jeunesse induit le mouvement, et donc celle d'une métamorphose. Après, c'est plus difficile de changer. De la même façon, c'est plus facile d'opérer une radicalisation sur des jeunes cerveaux, qui sont à l'âge des idéaux.»

Ph. D.R.

Essayez-vous de passer un message avec ce film?

JPD: «Non, on ne veut pas imposer de message, plutôt ouvrir des questions. On se dit que si on ne montre pas des pistes plurielles, le spectateur va recevoir son explication, sans s'interroger sur la profondeur du fanatisme religieux que véhicule ce garçon. Il y a des pistes d'explication dans sa famille par exemple: son père est absent, et il en veut à sa mère, d'accord. Mais ses frères et sœurs ne suivent pourtant pas la même voie…»

Quel est l'enjeu d'une présence à Cannes, après avoir déjà tout gagné?

LD: «Il y a deux choses. C'est l'endroit où un film peut être le plus exposé au monde… Avec le danger que cette exposition soit une brûlure totale. C'est comme ça à Cannes: ça passe ou ça casse. Et puis c'est une façon de participer à un mythe, avec tous les acteurs qui sont passés par là. On met ses pas dans ceux des autres, c'est un rite. Et c'est gai d'y emmener une nouvelle équipe pleine de jeunes acteurs.»

Vous coproduisez aussi les films d'autres réalisateurs. Quel est votre rôle?

LD: «Avec les cinéastes confirmés, comme Jacques Audiard ou Ken Loach, on a un rôle surtout amical. On trouve de l'argent en Belgique, et ça fait travailler des Belges sur leurs films. Avec les jeunes réalisateurs, on intervient sur le scénario. Et sur le montage s'ils nous le demandent. On donne notre avis… et puis on devient amis!»

Stanislas Ide